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plus de discipline dans l’armée, ou plutôt il n’y aura plus d’armée. Voilà pourquoi l’acte du colonel de Saint-Remy doit être condamné, ce qui ne veut pas dire qu’il ne comporte pas, au point de vue moral, des circonstances atténuantes. Le conseil de guerre aurait eu raison d’en tenir compte s’il ne l’avait pas fait avec excès ; mais il ne s’est pas contenté de diminuer la peine du colonel de Saint-Remy ; il l’a, en fait, supprimée. C’était obliger le ministre de la Guerre à intervenir à son tour, et on a vu quel a été le résultat de l’intervention du général André.

Nous plaignons sincèrement le colonel de Saint-Remy. Tout le monde est d’accord pour reconnaître qu’il était bien noté, aimait son métier et le pratiquait avec honneur. Sa mauvaise fortune a voulu qu’il se trouvât en Bretagne au moment de l’exécution des décrets, et qu’il fût requis d’y prêter main-forte. Placé entre son devoir militaire, dont il n’a pas cherché un moment à contester le caractère impératif, et sa conscience de chrétien qui lui interdisait, pensait-il, de participer à une mesure qu’il désapprouvait, il s’est abstenu d’obéir. Qu’aurait-il dû faire ? Les uns ont dit qu’il aurait dû donner sa démission, et ils ont invoqué à ce sujet des exemples dont quelques-uns sont illustres. Cette solution aurait sans doute été la meilleure : à supposer qu’il ait gardé quelque bon sens, le gouvernement s’y serait discrètement prêté. Mais d’autres ont pris la défense du colonel de Saint-Remy en donnant pour prétexte que, lorsqu’un homme jeune, ardent, généreux, se voue à la carrière des armes, il est parfaitement en droit de ne pas prévoir, comme suite de l’engagement qu’il contracte, l’obligation de prêter son concours à certaines besognes qui n’ont rien de militaire, et dont l’accomplissement n’a aucun rapport avec le noble idéal auquel il avait voulu consacrer sa vie. Si on se demande à quoi rêvent les jeunes gens lorsqu’ils entrent à Saint-Cyr, ce n’est assurément pas à enfoncer des portes de couvent et à expulser des religieuses. À quoi rêvent-ils ? Un peintre de talent nous l’a montré en représentant le sommeil au bivouac. Au-dessus des faisceaux d’armes qui portent le drapeau, ils voient passer dans leurs songes toutes les gloires militaires de la vieille France et de la France moderne, et leur âme s’élève à la hauteur de ces souvenirs héroïques. À quoi rêvent-ils ? Sans doute à la réparation dont ils espèrent être les instrumens. L’histoire déroule devant eux de grandes infortunes, parfois même des chutes profondes, puis des élans vigoureux, suivis de revanches éclatantes. C’est de cela qu’on nourrit leurs imaginations dans les écoles, et surtout dans la meilleure et la plus pratique de toutes, qui est le régiment lui-