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peine à comprendre l’importance que les couleurs ont prise dans l’école ; elles étaient un élément de nouveauté et d’originalité qui rajeunissait les sujets usés. Les jeunes imaginations s’y donnaient carrière, et elles fournissaient aux gens d’esprit l’occasion de se faire tout de suite reconnaître et applaudir : d’une couleur nouvelle et heureuse Rome s’entretenait toute une journée.

L’ouvrage de Sénèque contient dix livres de controversiæ, c’est-à-dire de causes civiles, semblables à celles qui se plaidaient devant les juges, et des suasoriæ, dont le sujet était emprunté à l’histoire, et qui ressemblaient aux discours français et latins qui se donnaient et se donnent encore quelquefois dans nos classes de rhétorique[1]. Une partie de l’œuvre est malheureusement perdue, mais ce que nous en avons conservé suffit pour nous donner une idée du reste.


IV

C’était la controverse qui, dans les écoles anciennes, intéressait le plus les élèves et les maîtres, et la raison en est facile à trouver. L’antiquité a toujours préféré l’éloquence judiciaire aux autres. D’ailleurs tous ceux qui suivaient les cours des rhéteurs étaient appelés à plaider un jour devant les tribunaux, tandis que fort peu d’entre eux arrivaient à entrer au Sénat ; il était donc naturel qu’on les exerçât surtout à ce qu’ils devaient faire. L’idée dut même venir d’abord, pour moins s’éloigner de la réalité, de reprendre à l’école les causes plaidées devant les juges, quand elles avaient fait du bruit et qu’elles prêtaient à de beaux mouvemens oratoires. Au moment où Rome était toute occupée du procès de Milon, Brutus imagina de refaire le plaidoyer que Cicéron venait de prononcer pour le défendre, et qui ne l’avait pas sauvé ; seulement il le prit sur un ton bien différent. Cicéron s’était efforcé de prouver que Milon n’était pas l’agresseur ; Brutus, au contraire, avoue sans détour qu’il avait attendu Clodius sur la route pour le tuer et il le félicite d’avoir eu le courage de délivrer la république d’un de ses plus mortels ennemis. Ceux qu’il réunit ce jour-là, pour entendre sa controverse, purent, dans le déclamateur, deviner le futur meurtrier du tyran. Au commencement du règne de Néron, il se passa une aventure tragique, que Tacite

  1. Pressons-nous de nous servir de ce mot de classe de rhétorique ; il va être remplacé dans le jargon moderne par celui de classe de première.