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tème de l’interprétation philosophique n’avait déjà été abandonné à l’époque où le pessimisme s’empara de l’attention publique. On sentait bien que le Faust n’était pas un poème comme un autre, qu’il soulevait à chaque page les plus hauts problèmes de la vie et du monde. Réfléchir à ces problèmes, recueillir chemin faisant les mots caractéristiques dont le poète les éclairait, ajouter ainsi un intérêt de plus à l’intérêt dramatique du sujet, c’eût été une tâche élevée, captivante, conforme à l’esprit et au but d’une grande œuvre littéraire. Mais cela ne suffisait pas. On voulait systématiser la pensée du poète, la réduire en formule, ramener à un plan uniforme, nettement conçu dès le début et rigoureusement suivi jusqu’à la fin, des fragmens qui avaient mis soixante ans à se grouper, à se compléter, et qui avaient été rédigés sous les influences les plus diverses.

Aujourd’hui, l’interprétation philosophique a fait place à l’interprétation historique. Il ne s’agit plus de savoir ce que le Faust signifie, — c’est à chaque lecteur à voir ce qu’il signifie pour lui, — mais sur quels documens Gœthe a travaillé, et comment ces documens se sont transformés et renouvelés entre ses mains. Des publications intéressantes sont venues faciliter cette recherche. Jusqu’ici on ne connaissait que les éditions publiées par Gœthe, le Fragment de 1790 et la Première partie de la tragédie de 1808, enfin l’édition complète et posthume de 1833, préparée par lui. Or, voilà que M. Erich Schmidt nous donne un Faust primitif, un Urfaust, antérieur au fragment de 1790, un premier jet puissant et caractéristique[1]. Et, plus récemment, M. Otto Pniower recueille tous les témoignages qu’il a pu trouver sur la composition du poème, dans les écrits de Gœthe, dans sa correspondance et dans son journal, dans les revues et les correspondances contemporaines[2]. Ce sont des complémens d’information très précieux à ajouter aux renseignemens que l’on possédait déjà.


I

Faust a-t-il existé ? Au xvie siècle personne n’en doutait. Il est vrai qu’au xviiie siècle personne ne doutait non plus de l’existence d’Ossian. Le siège principal de la légende de Faust

  1. Gœthes Faust in ursprünglicher Gestalt, 4e éd., Weimar, 1899.
  2. Gœthes Faust, Zeugnisse und Excurse, Berlin, 1899.