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était Wittemberg, la citadelle du luthéranisme. C’est en Saxe qu’il avait accompli quelques-unes de ses actions les plus miraculeuses et qu’il avait fini par rendre son âme au démon qui l’avait servi. Or, vers la fin du xviie siècle, un théologien de Wittemberg, Jean-George Neumann, crut devoir à l’honneur de la région où il enseignait de la purger du renom d’avoir donné asile à un réprouvé. Il déclara, dans une Recherche historique[1], que jamais aucun citoyen du nom de Faust n’avait été inscrit sur les registres de la ville ; que certaines localités qui figuraient dans la légende et qu’on plaçait dans la région de Wittemberg devaient être cherchées plutôt dans le Wurtemberg ; que Faust, s’il avait vécu (ce dont beaucoup de gens doutaient), n’avait été, selon toutes les apparences, qu’un obscur bateleur ; enfin, que tout le roman dont il était le héros ne devait peut-être son origine qu’à une analogie entre le nom de Faust et celui de l’imprimeur Fust, de Mayence, que ses ennemis avaient accusé de sorcellerie. « D’ailleurs, ajoutait Neumann, si Faust avait été un si redoutable magicien, et s’il avait exercé son art à Wittemberg, pourquoi ne trouve-t-on aucune trace de lui dans les écrits de Luther et de Mélanchton ? »

Au fond, ce qui gêne Neumann, c’est que Faust soit venu en Saxe et qu’il y ait fait des dupes. Ce n’est pas son sens historique, c’est son patriotisme local qui est alarmé, et si seulement Wittemberg pouvait être changé en Wurtemberg, sa conscience serait à l’aise. Ce qui lui fait invoquer l’autorité des réformateurs, appuyée sur leurs propres écrits, c’est qu’il y avait en effet un témoignage de Mélanchton, témoignage indirect, il est vrai, mais qu’il lui importait d’infirmer. Un disciple de Mélanchton, Jean Mennel ou Manlius, originaire d’Anspach en Bavière, dans un écrit publié en 1562, mettait tout un discours dans la bouche de son maître. Celui-ci disait avoir connu un homme du nom de Faust. Cet homme, après avoir étudié la magie à Cracovie, errait de ville en ville, étonnant et trompant le public. Venu en Saxe, il se vantait d’avoir gagné seul, par ses sortilèges, toutes les victoires des armées impériales en Italie. L’électeur Jean l’ayant expulsé de ses États, il se réfugia à Nuremberg. Le même Faust, voulant donner au peuple de Venise un spectacle extraordinaire, déclara qu’il monterait au ciel aux yeux de tous. Le

  1. Disquisitio historica de Fausto præstinatore, Wittemberg, 1683.