Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/680

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

service. Alors, que l’horloge s’arrête, que l’aiguille tombe, et que le temps n’existe plus pour moi ! » Ainsi le pacte n’est plus qu’un pari, et le pari devient une épreuve pour Faust. Mais Faust sortira triomphant de l’épreuve, et Méphistophélès sera finalement dupe. Ce moment de pleine satisfaction qui serait le point d’arrêt définitif de son existence, Faust l’entrevoit, sans y toucher, lorsque, dans la Seconde partie de la tragédie, il livre à l’industrie humaine un terrain qu’il vient de conquérir sur la mer : « Je veux ouvrir des espaces à des milliers d’hommes, pour qu’ils y vivent, non pas sans danger, mais dans une libre activité… Oui, je suis voué tout entier à cette pensée, qui est la conclusion dernière de la sagesse : Celui-là seul mérite la liberté comme la vie, qui sait les conquérir chaque jour… C’est une activité de ce genre que je voudrais voir, vivre sur un sol libre, au sein d’un peuple libre. Ce serait le moment auquel je pourrais dire : Demeure, tu es si beau ! Non, la trace de mes jours terrestres ne peut se perdre dans la suite des âges. »

Mais que devenaient, dans la nouvelle conception du sujet, le rôle de l’Esprit de la terre et celui de Méphistophélès ? L’Esprit de la terre faisait double emploi ; son évocation n’était plus qu’un épisode sans lien nécessaire avec l’ensemble ; le monologue où Faust s’adressait à lui en ces mots : « Esprit sublime, tu m’as tout donné… » n’avait plus de raison d’être. Quant à Méphistophélès, c’était tantôt « le compagnon dont Faust ne pouvait plus se passer, quoique, par sa froideur et son insolence, il réduisît à rien les dons qu’il lui apportait, tantôt le séducteur, chargé d’aiguillonner la pauvre humanité, « une partie de cette force qui veut toujours le mal et qui fait toujours le bien ». Méphistophélès, selon l’expression de Kuno Fischer, a tantôt l’Esprit de la terre derrière lui, tantôt le Seigneur en face de lui. Tantôt il accomplit une mission pour le compte d’un autre, plus grand que lui ; tantôt il joue sa propre partie, à ses risques et périls. Quand Gœthe reprit son poème après 1797, il avait deux partis à prendre : il pouvait ou refondre les scènes déjà faites et peut-être en élaguer quelques-unes, ou les laisser à leur place, sans trop chercher à les mettre d’accord avec les scènes nouvelles. Il s’arrêta à ce dernier parti, ne se doutant pas de la peine qu’il donnerait à ses futurs commentateurs, qui, plus gœthiens que Gœthe, verraient de l’unité où il n’y en avait pas. Tantôt il se rassurait en s’appliquant les théories qui venaient