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d’être émises sur la formation des épopées[1] : pourquoi le Faust aurait-il plus d’unité que les Nibelungen ? Tantôt il pensait, comme il le dit dans sa dernière lettre à Guillaume de Humboldt, que le lecteur saurait bien mettre une date à chaque scène et distinguer ce qui était ancien de ce qui était nouveau[2].


X

Après la publication de la Première partie de la tragédie en 1808, le Faust semble encore une fois abandonné. Devant cette œuvre si souvent interrompue, exécutée sous des influences si diverses et, par suite, si peu homogène, et qui n’en reste pas moins son chef-d’œuvre, Gœthe éprouve un double sentiment. D’un côté, il ne peut jamais se détacher entièrement d’un sujet dans lequel il a versé de bonne heure ses émotions les plus profondes ; et, de l’autre, il désespère de lui donner cette forme accomplie qui, depuis son commerce avec l’antiquité, est devenue pour lui la vraie marque d’une œuvre d’art. Le plus souvent, une excitation du dehors lui est nécessaire pour ranimer son zèle. Nous savons combien les instances et les conseils de Schiller contribuèrent à lui faire reprendre le Fragment de 1790. Il paraît qu’Eckermann, le fidèle compagnon de sa vieillesse, conseiller plus humble, mais non moins dévoué, ne fut pas étranger à la reprise de Faust en 1824. « Il n’est pas bon, lui dit un jour Gœthe en plaisantant, que l’homme soit seul, ni surtout qu’il travaille seul ; il a besoin, pour faire quelque chose, de l’encouragement et de l’approbation des autres. Si j’achève la seconde partie de Faust, ajouta-t-il, c’est à vous que je le devrai[3]. » Il disait également au chancelier de Müller : « Eckermann s’entend à merveille à m’extorquer des productions nouvelles, par l’intérêt intelligent qu’il témoigne pour ce qui est déjà fait ou commencé[4]. » Gœethe ayant voulu insérer, en 1824, dans la

  1. Lettre à Schiller, du 27 juin 1797.
  2. Les scènes nouvelles dans l’édition de 1808 étaient : la Dédicace et les deux Prologues, le second monologue de Faust et les chœurs qui suivent, la Promenade devant la ville, le troisième monologue avec la conjuration, la scène du Pacte, la scène entre Valentin, Faust et Méphistophélès, et la Nuit de Walpurgis. La scène de la Prison, en prose dans le Urfaust, et omise dans le Fragment de 1790, est mise en vers.
  3. Conversations, 1er mars 1830.
  4. Unterhaltungen mit Gœthe, 8 juin 1830.