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commencer par ses collègues. C’était mal le connaître. Il y a dans M. Pelletan un lutin qui ne se possède pas, mais qui le possède, et qui n’est jamais tranquille. Par momens, il s’en rend compte. Dans un des premiers discours qu’il a prononcés comme ministre, il a avoué que ses amis n’étaient pas encore bien sûrs qu’il y eût en lui l’étoffe d’un homme d’État : et lui-même n’osait pas l’affirmer, mais il espérait bien le prouver. Hélas ! les doutes persistent, ils se sont même accrus. M. Pelletan parle trop, et chacun de ses discours augmente l’inquiétude qu’on avait éprouvée en le voyant prendre possession du ministère de la rue Royale.

Sa première escarmouche a été contre le ministre des Finances. M. Pelletan aurait pu être ministre des Finances tout aussi bien que de la Marine, car il ne s’est pas moins occupé de finances que de marine. Mais, au fait, de quoi ne s’est-il pas occupé, et dès lors de quoi n’aurait-il pas pu être ministre ? Il a des idées sur tout. Elles sont généralement fausses, avec, par-ci par-là, quelques étincelles de vérité, juste assez pour séduire ceux qui ne sont pas allés au fond des choses et pour les égarer. Il est partisan de l’impôt global et progressif sur le revenu, cela va sans dire. On sait que M. Rouvier, tout en promettant de faire une réforme dans notre système fiscal, l’a réduite à des proportions beaucoup plus modestes. C’est là le programme du cabinet, celui avec lequel il s’est présenté aux Chambres, et on devait croire que M. Pelletan en avait accepté à la fois les termes et les limites. Point du tout ! M. Pelletan a saisi la première occasion qui s’est offerte de dire son fait à M. Rouvier, et de l’accuser de timidité. A l’entendre, c’était par une révolution profonde et vraiment radicale qu’on pouvait sauver nos finances de l’anémie dont elles souffrent : une réforme partielle n’était qu’un palliatif compromettant. Cette déclaration imprévue dans la bouche d’un ministre solidaire de ses collègues, a naturellement produit quelque scandale. Les journaux en ont glosé. On s’est demandé s’il n’y avait pas deux tendances opposées dans le cabinet, et laquelle des deux l’emporterait en fin de compte. M. Pelletan a paru alors se réveiller comme d’un rêve. Il a protesté qu’il aimait infiniment M. Rouvier, et depuis longtemps, et même que son amitié avait résisté mieux que d’autres à toutes les épreuves. Sans doute : mais ce n’était pas la question. En réalité, M. Pelletan s’était cru encore journaliste ; il ne se souvenait plus qu’il était ministre. Un journaliste peut critiquer les idées d’un autre, même en l’aimant beaucoup ; tandis qu’un ministre ne peut pas en combattre un autre, même s’il ne l’aime pas du tout. M. Pelletan n’y avait pas