Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 11.djvu/796

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

790 REVUE DES DEUX MONDES. loyal en tous les deux, de renouer la vie commune, était con- damné?... Elle cessa de paraître au repas du matin; puis une semaine encore s’écoula, et, le dernier jour, il sembla que son parti fût pris, elle ne sortit plus de sa chambre. Tout à coup la maison morne se ranima, s’emplit de bruit; une embellie subite permettait enfin de faire les vendanges, et, suivant la coutume de la province, le maître allait donner la fête aux vendangeurs, après la cueillée, dans une grange, ornée de feuillages, un banquet rustique où la châtelaine, depuis sept ans, n avait jamais manqué d’assister. Sauvray reçut un message ma- tinal. Quelques lignes. Juliette le priait de l’excuser auprès de ces braves gens. Elle souhaitait aussi qu’il voulût bien se rendre chez elle, après le repas, dans l’après-midi. C’était l’heure ! Il l’avait appelée de ses vœux, cette suprême épreuve ; il avait cessé de la craindre, parce qu’il se croyait dé- sormais bien sûr de n’y point rester au-dessous de lui-même. Elle allait voir comme il réparait le mal qu’il lui avait fait depuis un mois, parce qu’il ne pouvait point ne pas le faire. Venant vers elle, armé seulement de justice et de pitié, il frappa et reçut la réponse : Entrez ! La voix était tremblante. La porte s’ouvrit de- vant le visiteur et la senteur d’iris l’enveloppa comme naguère, dans la dangereuse nuit. Juliette était étendue sur sa chaise longue et fit un mouvement pour se lever, il la retint d’un geste. Il se retrouvait après ce moment de trouble. Elle lui parut amaigrie, les couleurs vivantes presque efTacées de son visagt ; liîute blanche en son peignoir de mousseline et de den- telles : — Je ne vous prendrai qu’un moment, dit-elle. Une prière à vous adresser, et votre réponse. Je voudrais retourner pour quelque temps en Poitou, chez ma mère. — Je vous en aurais déjà fait la proposition, répondit-il. J’ai craint d’aller plus vite que vos désirs. Croyez qu’en tout je ne veux que votre bien. Elle le regarda surprise, moins de cet assentiment dont elle ne doutait guère que du ton qu’il y avait mis. Cela était infini- ment doux, et pourtant un peu solennel. Il ajouta : — Je com- prends que pour vous la vie est ici bien sévère — J’y suis un peu trop seule... F]lle hésita. Ce qu’elle dirait de plus aurait un air de reproche : — Je sais que vous avez de grands travaux, comme toujours. I