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DÉBAT DE CONSCIENCE. 791 Et, s’efforçant de sourire : — En êtes-vous si absorbé! Donnez-vous, au moins, le loisir de vous asseoir. — Vous reconnaissiez vous-même tout à l’heure que nous avions peu de choses à nous dire. C’est qu’en effet la franchise est brève. Il me semble que notre premier devoir est de con- venir que nous avons tous deux commis une erreur, moi, la plus grave, puisque vous viviez en paix auprès de M""" de Camby. — Ah ! que cela est vrai ! s’écria-t-elle. — Les mots qu’elle re- tenait depuis un moment et qui lui brûlaient les lèvres pouvaient enfin s’échapper : — Pourquoi m’avez-vous fait revenir près de vous? — J’ai désiré sincèrement que cet essai pût réussir. — Et moi, dit-elle, relevant vivement la tête, je vous jure que je vous apportais toute la sincérité de mon cœur. — Je le crois. Notre effort à l’un et à l’autre n’en aura pas moins été stérile. Ne le prolongeons pas, ce serait le supplice de tous les deux. Nous allons de nouveau nous séparer, loyalement, comme nous avions tenté de nous réunir. Cela, pour elle, c’était l’arrêt, la vie décidément brisée, la flé- trissure; et, si légèrement que beaucoup affectent de la porter, la malignité du monde la leur rend parfois cuisante. A demi re- levée sur le coussin, M’"^ de Sauvray s’y laissa retomber : — Vous êtes le maître ! — Que pensez-vous donc? reprit-il. Que, si je vous fais libre, c’est pour ne point vous assurer la vraie liberté, celle qui devra être honorée de tous? Je veux que la réputation de M"* de Sauvray continue de défier tous les mauvais propos. S’il vous plaît de suivre mes conseils, vous passerez, suivant votre désir, quelques semaines encore en Poitou, près de votre mère. De re- tour à Paris, vous rentrerez à l’hôtel de Sauvray, chez vous. — Chez moi ! fit-elle, subitement redressée. Vous consen- tiriez?... Vous ne me haïssez donc pas?... Chez nous!... Chez moi ! Est-ce bien vrai?... Ah! Gilbert, que vous êtes bon! — Ce que je vous propose paraît être à votre gré. L’essentiel, pourtant, y manque encore. La chère maison que je rouvre devant vous, la maison de mon père est grande... Je désire que vous n’y viviez pas seule. Votre mère, âgée et malade, pourrait y habiter avec sa fille unique. Ce serait bien. — Mais, vous ? s’écria-t-elle. Vous? Ne venez-vous pas de dire : « La maison est grande ? »