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Et voilà que Richelieu se tirait encore à son honneur de cette affaire des Ponts-de-Cé où il eût dû périr ! Les habiles avaient les yeux fixés sur un homme qui savait tirer un tel parti de ses défaites. Parmi ses agitations politiques, le pays s’est toujours intéressé à ces vaincus redoutables qui, selon l’expression de Bossuet, « semblent se soutenir seuls et menacent les favoris victorieux de leurs tristes et intrépides regards. »

Mais, surtout, le trouble où était Luynes venait de la situation exceptionnelle où le progrès fatal de ses ambitions l’avait porté. Il était le maître absolu ; tout dépendait de lui. Il n’était pas seulement le favori, mais bien le ministre. On ne pouvait plus agir que par lui. La Cour et le royaume ne demandaient qu’à lire, dans ses yeux, sa volonté : mais sa volonté se cherchait elle-même. Il avait le vertige de sa propre grandeur. L’habile fauconnier sentait que le cercle des responsabilités s’élargissait trop pour son envergure. Assez intelligent pour suivre les affaires, trop ombrageux pour ne pas les retenir toutes, il était trop indécis pour les trancher, prendre un parti et courir le risque. Des deux confidens qui l’avaient soutenu d’abord, il avait dû congédier le plus habile. Déagent ; l’autre, Modène, « le gros Modène, » comme on l’appelait, était une fidélité, mais non une force. Le fameux Ruccellaï s’était attaché à lui, en abandonnant décidément le parti de la reine mère. Mais il avait le mauvais œil, il attirait les inimitiés, et il était suspect. Quant aux ministres, selon le mot de Fontenay-Mareuil, « ils lui servaient plutôt de couverture que de guide. » Il était donc seul et obligé de tout tirer de lui-même. Sa gravité, son charme discret, sa séduction attentive pouvaient faire illusion au Roi et à la Cour. Il ne se trompait pas lui-même, et il hésitait ; car sa prudence était supérieure à sa capacité.

Pourtant, le moment était venu de s’arracher à ces éternelles temporisations. Des événemens graves surgissaient. Au dedans et au dehors, les difficultés s’amoncelaient ; une immense agitation parcourait l’Europe comme de ces coups de vent rapides qui se lèvent à l’approche des orages.


Les affaires intérieures sont toujours liées aux affaires extérieures. Rarement elles le furent autant qu’à cette époque : la France, comme l’Europe, était divisée en deux camps, et ces deux camps ne pouvaient plus supporter la trêve que la lassitude