Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 7.djvu/72

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était assez déserte pour qu’un habitué pût, sans se faire remarquer, soigner ses emplâtres à l’orchestre.

C’est plutôt l’augmentation des dépenses qui rend difficile la gestion des entreprises théâtrales. Difficile, elle l’a toujours été d’ailleurs ; ou cite ceux qui se sont enrichis : quand Dormeuil fonda le Palais-Royal, il eut infiniment de peine à placer les actions de 500 francs, que beaucoup prirent uniquement pour lui rendre service. Deux ans après, elles rapportaient 300 francs et se vendirent plus tard 5 000. Cantin, aux Folies-Dramatiques, gagna, dit-on, plusieurs millions ; et Larochelle, à vingt-quatre ans, achetait sur ses bénéfices quatre théâtres de faubourg. Mais bien plus nombreux furent les « intelligens directeurs » qui, après une longue série de « veine, » à la Gaîté, au Châtelet, au Gymnase, aux Variétés, à la Porte-Saint-Martin, moururent pauvres, faillis et vaincus. Non qu’ils eussent administré avec imprudence ; quelques-uns furent renommés pour leur parcimonie : ils achetaient la toile de leurs décors et en pesaient le bois, tenaient eux-mêmes leur caisse et formaient des artistes, recrutés à bas prix en province. Puis, après avoir amassé un petit trésor, ils abordaient une scène plus vaste, risquaient de belles mises en scène, et se ruinaient ; vérifiant en leur personne ce proverbe arabe : « Quand Dieu veut perdre une fourmi, il lui donne des ailes. »

Avec les frais considérables que comportent certains genres, un succès ne rapporte pas ce que fait perdre un « four. » Les recettes de théâtre varient normalement d’une saison à l’autre et, dans chaque saison, on compte sur des jours « creux, » — les vendredis notamment, — et sur des jours de maximum : le 24 décembre, soir de réveillon, telle salle, désopilante par vocation, est bondée, quelle que soit l’affiche. Dans le même ordre d’idées, les recettes montent, aux Français, à 268 000 francs en mars et descendent à 69 000 francs en août ; elles s’élèvent, à l’Opéra-Comique, à 211000 francs en mai et tombent à 64 000 fr. en juillet. Elles oscillent, à l’Odéon, de 152 000 à 33 000. Dans les théâtres de genre, l’écart, du printemps à l’été, est plus grand encore : le Vaudeville fera 186 000 francs en avril et 28 000 francs en septembre ; les Variétés 217 000 francs en mars et 23 000 francs en août.

Mais ce sont là, pensera-t-on, des alternatives chroniques, prévues, inévitables. Cependant, d’une année à la suivante, le même mois accuse, suivant la vogue de la pièce en cours, des