Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/500

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus durable, en même temps que de plus ruineusement beau.

Dans les sous-œuvres de la monstrueuse demeure, dans le rocher naturel qui la supporte, on a ménagé d’autres salles encore, des quartiers un peu en pénombre et dont la magnificence a je ne sais quoi de clandestin. Entre autres les bains de la Grande Sultane, où l’on sent comme une fraîcheur souterraine et où ne pénètre qu’une faible lumière plongeante ; c’est une sorte de vaste caverne enchantée ; aux voûtes, on dirait un ruissellement de pluie que le gel aurait figé ; quant aux murailles, elles sont revêtues de très fines mosaïques en verre de miroir, et l’humidité, le salpêtre, ont atténué le jeu de ces milliers de petits prismes, dont l’ensemble brille d’un éclat discret, comme ferait un vieux brocart pailleté d’argent. Jadis, des créatures de jeunesse et de beauté, choisies parmi ce que l’admirable race indienne offrait de plus parfait, peuplaient ce lieu si défendu, — et ces dalles où elles se couchaient, ces bancs de repos, dont le temps n’a même pas terni la blancheur, ont longuement connu les contacts de toute cette élite de chair brune.

C’était déjà ici une forteresse de souverains bien des siècles avant l’arrivée des conquérans mogols, qui y ont apporté ces choses nouvelles : la pâleur laiteuse des marbres et la netteté de l’ornementation géométrique. Il y reste encore des salles, aux ciselures de grès rouge, d’un archaïsme très lointain, qui datent des rois Jaïnas. Et, en descendant les escaliers d’ombre, dans l’épaisseur des lourdes pierres, on arrive à des quartiers inquiétans ou tragiques ; des oubliettes, où les gens étaient abandonnés aux serpens cobras ; une chambre pour pendre les sultanes, dont le corps, ensuite, était jeté dans un puits perdu sous la rivière ; des trous noirs sans fond ; des souterrains que l’on n’ose plus suivre, et qui mèneraient à des ossemens ou à des trésors… Ce sont comme les racines lugubres, profondément entrées dans le sol, de cette liliale splendeur blanche qui a fleuri tout en haut.


En remontant des ténébreuses dépendances, je reviens à ces kiosques ajourés, qui dressent leurs fines découpures tout au bord des remparts et avancent leurs balcons sur le vide. Je m’y attarde longuement, aux places où les belles du temps passé, où les sultanes cloîtrées au sommet de l’artificielle montagne, au-dessus des nuées d’oiseaux tournoyans, regardaient à travers les plaques de marbre, ou bien entre les colonnettes fuselées. Tout