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de mérites qu’il ne possède pas. Généralement, on le trouve « nul ennuyeux, frivole. » N’empêche que les affaires de l’ambassade sont menées de façon supérieure et que tout en contribuant à leur direction, Mme de Liéven s’ingénie à en laisser l’honneur à l’homme dont elle porte le nom. C’est elle qui l’informe ; c’est pour lui qu’elle enquête, qu’elle interroge, qu’elle fait parler les gens et qu’elle attire chez elle quiconque peut la documenter. Descend-elle de ces hauteurs pour présider le comité de patronage des bals d’Almasks, ou encore pour conférer avec sa couturière ou son joaillier, créer quelque mode nouvelle dont le succès est assuré si elle-même l’inaugure, c’est encore dans une vie d’utilité, et pour relever le prestige de l’ambassade, dont en réalité elle est l’âme et l’inspiratrice. De plus en plus attachée à l’Angleterre, elle s’efforce d’assurer aux Russes l’estime des Anglais et aux Anglais l’estime des Russes. Son compatriote le ministre Capo d’Istria, étant venu à Londres et y ayant obtenu « le succès le plus complet ; » elle s’en réjouit autant que de voir « qu’il a rendu justice à ce pays. »

L’activité intellectuelle qu’elle est parvenue à imprimer peu à peu à sa vie ne tarde pas à constituer pour son esprit un besoin de tous les jours et, bientôt, d’autant plus impérieux que ses deux fils aînés, Alexandre et Constantin, viennent de la quitter, — septembre 1821, — pour aller compléter leur éducation en Russie. Après les avoir laissés durant quelques semaines à Paulowsky, auprès de leur grand’mère Liéven, leur père vient de les placer à l’Université de Dorpat. Il se propose d’envoyer Paul, le troisième, à Paris. Désormais, la mère n’aura plus auprès d’elle que George, le dernier né ; et, d’être séparée des trois autres, elle est tout attristée. Mais, voilà que soudain, à l’aube de cette période qui sera pour son cœur maternel une période de privations et de sacrifices, et comme si la destinée voulait par avance lui assurer une revanche et un dédommagement, un bonheur inespéré lui survient. Pendant que son mari est en Russie, l’occasion lui est offerte de se rencontrer avec Metternich, qu’elle n’a pas revu depuis Aix-la-Chapelle et n’espérait pas revoir de sitôt. Ce qu’il y a de plus piquant, c’est que cette occasion, c’est le roi George IV qui la lui procure. S’il l’a fait à dessein, il en faut conclure que ce prince est un bon prince. S’il n’a été que le complice inconscient du hasard, on doit convenir que le hasard est parfois un merveilleux arrangeur de circonstances heureuses