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Celles dont Mme de Liéven rend compte à son père dans la lettre suivante, datée de Hanovre, le 27 octobre 1821, semblent avoir été machinées comme au théâtre, pour faciliter la rencontre des deux amans en l’absence du mari et leur ménager quelques jours de liberté.

« Mon bien cher papa, je me trouve ici depuis huit jours. Le roi d’Angleterre a eu la bonté de désirer beaucoup que j’y vinsse, et lord Londonderry[1] m’a envoyé un courrier à Francfort pour presser mon arrivée. Comme je ne doutais nullement, d’après les données de lord Londonderry et les miennes propres, de trouver déjà mon mari à Hanovre, je m’y suis rendue sur-le-champ. Malheureusement, mes calculs étaient faux : il n’y était pas et il n’y est pas encore. Ses départs ont fait remettre de plusieurs jours le départ du Roi, parce qu’il avait jugé essentiel de voir mon mari ici en même temps que le prince Metternich, qui s’y était rendu de son côté, en grande partie dans l’espoir de rencontrer mon mari. On lui a encore envoyé un courrier pour le prévenir de l’attente où est le Roi. Mais le dernier terme est arrivé ; les médecins ne veulent plus que Sa Majesté prolonge son séjour ici et Elle part après-demain. Je n’ai nulle idée quelconque de ce qui peut être cause du retard de mon mari. Personne n’en a de nouvelles et je commence à m’inquiéter sérieusement de ce fait. Cette terrible distance de la Russie est une affreuse chose. Il y a cinq semaines que je ne sais plus rien de mon mari. Bon cher papa, comme son retour est encore plus vivement désiré par moi, depuis que je sais qu’il me parlera de vous !

« J’ai trouvé à mon arrivée ici le Roi fort malade ; je l’ai vu couché le premier jour ; depuis, il s’est remis et a pu recevoir du monde et même, hier, se montrer au public. On ne se fait pas d’idée de l’enthousiasme avec lequel il est reçu. Il y a une fort grande réunion de princes d’Allemagne ici, qui sont tous venus faire leur cour au Roi, en sorte que Hanovre est fort brillant. Le Roi retourne droit en Angleterre et remet à l’année prochaine à faire la tournée des capitales du continent. Quoique je me trouve ici sur son invitation, j’y suis désorientée d’y être sans mon mari, et je ne puis vous dire à quel point cela me contrarie. »

Elle affecte toujours, on le voit, de ne pas parler de

  1. Lord Castlereagh, marquis de Londonderry, qui se suicida l’année suivante. Il était ministre des Affaires étrangères dans le cabinet britannique. Il y fut remplacé par Canning.