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d’une solidité à toute épreuve. Le chef de corps nous les montre manœuvrant sur le champ de bataille comme à la parade. « L’ordre qui régna, » dit-il, « fut vraiment admirable ; il n’y eut pas une faute de faite, pas un bataillon ni un escadron ne perdirent leur direction ni leur alignement. L’infanterie passait rapidement les ravins et les défilés, se reformait et se déployait ensuite plus rapidement encore sur les hauteurs qui dominaient ces ravins… Le général Blücher, qui vint me rejoindre, en était dans l’enchantement et répétait sans cesse : « Ah ! que c’est beau ! » Je le surpris même battant des mains pour applaudir ; il s’oublia tellement qu’au second mouvement de retraite, il resta immobile, en disant toujours : « Ah ! que c’est beau ! » Et je fus obligé de le réveiller de son admiration et de l’avertir que, s’il restait encore cinq minutes dans la position où il était, en avant de tous les avant-postes, il irait porter son enthousiasme chez les ennemis. »

L’aspect des troupes prussiennes était tout différent : le corps prussien comptait 18 000 hommes de landwehrs sur un effectif total de 38 500. C’étaient des landwehrs silésiennes, que l’on considérait comme de qualité inférieure, recrutées parmi les tisserands, les ouvriers des fabriques silésiennes. Les hommes étaient malingres. Ils ne s’étaient point laissé recruter sans résistance. Tous les élémens éclairés de la jeunesse étaient ailleurs : ils s’étaient enrôlés dans les bataillons de volontaires. Sur quatre compagnies de landwehr silésienne, on n’avait pu trouver un Feldwebel sachant écrire. Les bataillons de ligne n’étaient guère plus riches en hommes exercés. Les mieux dotés comptaient un tiers de recrues, et, sur l’ensemble, la proportion était bien plus forte. Des bataillons entiers n’avaient pas même reçu un commencement d’instruction. Dans tout le corps d’armée, on ne comptait pas mille vieux soldats. L’habillement était lamentable. Le drap, travaillé à la hâte, se rétrécissait sous la pluie et n’habillait plus les hommes. On n’avait pu leur procurer de demi-bottes. La plupart perdirent leurs souliers dans les boues détrempées et durent faire la campagne nu-pieds. La classique Mütze du landwehrien avec sa croix ne protégeait le crâne ni contre la pluie, ni contre les coups de sabre. Les pantalons étaient de toile. L’Autriche avait bien fourni 20 000 fusils ; mais on avait oublié d’en percer les lumières ; plusieurs bataillons de landwehrs entrèrent en campagne, leurs deux premiers rangs armés de piques,