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jugeait que ce qu’on lui demandait excédait les forces de ses troupes et les possibilités. Il se sentit, depuis ce jour, une tendance de plus en plus marquée à réagir par sa prudence contre les audaces du chef d’armée. Blücher dut passer condamnation sur ce refus d’obéissance. Il feignit de croire à un malentendu ; mais il commença, de son côté, à concevoir quelque rancune contre Langeron.

Au corps prussien, les difficultés n’étaient pas moins sensibles. Les ordres du quartier général imposèrent, dès la première heure, aux troupes, des fatigues excessives. Gneisenau avait pour principe qu’il fallait toujours demander aux hommes quelque chose de plus que ce qu’on voulait en obtenir. Il semble que ses ordres ne fussent pas expédiés avec toute la méthode désirable. Le 16, le corps de York s’était croisé avec celui de Langeron et n’avait pu parvenir au bivouac que le 17 au matin, sous des torrens d’eau, après une marche de nuit, où les bataillons de landwehr avaient perdu beaucoup de traînards. Le 18, York n’avait reçu l’ordre de marche qu’à midi, et son corps n’était arrivé à l’étape qu’à minuit. Le 19, le corps, parti à cinq heures du matin, avait été arrêté à 8 heures par un contre-ordre ; son avant-garde, mise en marche à deux heures du matin, était tombée à l’improviste sur le corps de Ney. Le 20, il avait voulu remettre ses troupes par quelque repos. Mais les ordres du quartier général lui prescrivirent, malgré ses représentations, de porter tout de suite son corps d’armée à Sirkwitz sur le Bober. Les chemins détrempés par la pluie rendaient la marche extrêmement difficile. La brigade de Horn n’arriva qu’à minuit à Deutmannsdorf, encore à quelques kilomètres de Sirkwitz. York prit le parti de s’arrêter là. Encore la fin de la colonne n’arriva-t-elle qu’à cinq heures du matin.

Dès le 20, York commença à protester, à discuter les méthodes du quartier général, à déclarer qu’on ruinait l’armée en marches et en contremarches. Ses troupes n’étaient point en état de répondre à de semblables impulsions. Elles offraient le contraste le plus complet avec celles des deux corps russes. Sacken surtout commandait des régimens qui avaient fait campagne en Turquie pendant des années, qui n’avaient point reçu d’hommes de remplacement, qui étaient presque exclusivement formés de vieux soldats.

Les troupes de Langeron étaient aussi de vieilles troupes