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cités maritimes et marchandes, sur la Méditerranée comme sur les autres mers, ont toujours aspiré à l’autonomie. Elles restèrent presque toujours en dehors des partis qui se disputaient la souveraineté territoriale ; elles devaient leur puissance au commerce et à la course ; les guerres continentales leur importaient peu, car leurs intérêts étaient sur mer ; elles avaient une vie propre, des mœurs et des habitudes qui demandaient des lois spéciales ; enfin elles possédaient de grandes richesses dont elles voulaient être seules à profiter. Aussi ces cités se sont-elles détachées peu à peu des États dont elles dépendaient pour s’ériger soit en républiques vassales, soit en républiques indépendantes. Si quelques-unes, comme Marseille, La Rochelle et Saint-Malo, ne purent réaliser complètement leur rêve d’indépendance, par suite des résistances d’un pouvoir central fortement constitué, au moins arrivèrent-elles à obtenir des privilèges et des franchises qui équivalaient à une véritable autonomie.

C’est avec Alger que Salé présentait le plus d’analogie. La ville des Barberousse n’était rattachée à l’autorité du Grand Seigneur que par un faible lien de vasselage ; Salé ne payait aux sultans du Maroc qu’une redevance gracieuse ; son caïd officiel, quand elle en eut, n’avait qu’une souveraineté nominale, plus précaire encore que celle de ces chefs de la milice turque qui gouvernèrent sous les noms de pacha, d’agha et de dey. Alger était en réalité une république de janissaires[1] au milieu d’indigènes et de renégats, et ce que furent les janissaires à Alger, les Andalos le furent à Salé. Comme les premiers apportèrent à Alger la langue turque, les lois et les coutumes du Levant, les Andalos introduisirent à Salé la langue espagnole et une grande partie des lois et usages de la péninsule. Rion n’est plus suggestif à cet égard que les listes des membres du divan de Salé où nous voyons figurer des Blancos, des Squerdos, des Ozaras, etc., avec quelques noms arabes, accompagnés toujours d’un surnom ethnique : el Corloubi (de Cordoue), el Gharnathi (de Grenade). De même que les janissaires avaient concentré dans leurs mains tous les pouvoirs et n’admettaient pas qu’une parcelle d’autorité fût dévolue à un indigène, de même

  1. Les janissaires eux-mêmes étaient recrutés en grande partie parmi les sujets chrétiens de la Turquie qui étaient astreints à fournir, au fur et à mesure des besoins, un millier de jeunes gens chaque année : ceux-ci, enlevés à leurs familles, étaient envoyés à Brousse pour y recevoir une éducation musulmane et militaire.