Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 13.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ferait un reliquaire, les murs vénérés d’une église plus ancienne où Wladimir le Grand, après avoir assiégé la ville et y être entré en vainqueur, se fit baptiser à cette place, puis à cette place encore épousa la sœur des empereurs grecs en l’honneur de laquelle il renvoya ses femmes presque aussi nombreuses que celles de Salomon. Et sur le théâtre de ces événemens mémorables, à côté des tableaux de Riss et de Korsoukhine, un paysan avait été admis à peindre, comme il la concevait, une envolée d’anges. Il y avait mis un sentiment mystique très sincère, très doux, et l’œuvre, pour naïve qu’elle fût, était intéressante dans sa timidité de vaporeuse grisaille.

On trouve de la peinture de paysan au Kremlin même. Certains voyageurs n’ont pas épargné leurs railleries à ce barbouillage qui dépare le palais des tsars sans autre excuse que d’être l’informe tentative d’un moujik. J’en fus touchée au contraire, j’y vis comme le symbole de cette familiarité singulière entre l’esclave et le maître souvent tyrannique, mais qui cependant se laisse approcher. Je me rappelais le troisième acte d’un beau drame d’Alexis Tolstoï représenté à Moscou, quand le peuple entre librement dans ces mêmes salles du Kremlin, où un vieux paysan conte les hauts faits d’Ivan le Terrible à son fils dégénéré.


Certainement toutes ces industries de paysans méritent d’être encouragées, puisque sans remédier tout à fait à la misère, elles peuvent du moins l’alléger et puisqu’elles laissent la famille réunie au foyer, en lui procurant un élément d’intérêt et même de plaisir. Car c’est l’unique plaisir de l’hiver que ces veillées de travail pour tous les âges, appelées, selon les régions, beceda ou vitcherinka. On cause, on rit, à la chaleur du poêle. Les jolis contes populaires se propagent ainsi. En outre, les industries de village font partie du trésor des traditions, le plus précieux de tous pour chaque peuple. D’un si utile exemple que puissent être les civilisations voisines, le grand empire, hâtivement créé par Pierre le Grand, fera bien de se rappeler, — d’autres aussi avec lui, — le mot de Mme de Staël : « La véritable force d’un pays est son caractère naturel, et l’imitation des étrangers est un défaut de patriotisme. » Or, les hautes sphères de la société russe ont presque tout emprunté à l’étranger ; les intellectuels veulent, en Russie comme ailleurs, être citoyens du monde ; qu’on laisse donc au peuple cette supériorité de rester