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de musique de chambre par le même quatuor, le fameux quatuor Schuppanzigh, dont le violoniste Charles Holtz, précisément, était l’un des membres. Ils avaient des amis communs : Schindler, l’élève et confident de Beethoven, se mêlait volontiers au groupe des « Schubertiens, » et ce fut un des plus intimes compagnons de Schubert, Anselme Huttenbrenner, qui assista Beethoven à son lit de mort. J’ajoute que, sans aucun doute possible, chacun des deux maîtres connaissait, au moins en partie, les œuvres de l’autre : car Schubert, surtout depuis qu’il avait secoué l’influence de Salieri, ne cessait pas de prendre pour modèles les symphonies, les quatuors, les sonates de Beethoven ; et celui-ci ne pouvait manquer d’avoir lu non seulement les recueils de lieds de Schubert, mais aussi quelques-unes de ses œuvres de musique de chambre, ne fût-ce que ses pièces pour le piano (dont l’une lui était dédiée) et son grand Octette en fa majeur, dont l’exécution, sous la conduite de Schuppanzigh, avait eu à Vienne toute l’importance d’un événement musical. Et sans cesse, dans le cercle restreint où se passait leur vie, Beethoven et Schubert avaient l’occasion de se rencontrer : plus d’une fois pendant ce même automne de 1825, les garçons du Chameau durent les voir assis à des tables voisines. Mais, avec tout cela, on est aujourd’hui à peu près certain que, jusqu’à la mort de Beethoven, en 1827, jamais les deux hommes n’ont échangé une seule parole. Vivant côte à côte, se connaissant de nom et de visage, ils sont restés jusqu’au bout étrangers l’un à l’autre. Pourquoi ? Il y a là un petit problème que, depuis trois quarts de siècle, les musicographes allemands débattent sans pouvoir le résoudre.

Une chose, du moins, paraît évidente : si un obstacle s’est dressé entre Beethoven et Schubert pour les empêcher d’entrer en rapports, cet obstacle n’a pas pu venir du côté de Schubert. Celui-ci, à vrai dire, n’a pas toujours admiré Beethoven autant qu’on l’imagine. A propos du jubilé de son maître Salieri, dans un fragment de journal de l’année 1816, il écrivait : « Quel plaisir et quel réconfort doit éprouver un artiste à voir réunis autour de soi tous ses élèves, dont chacun s’efforce de produire en son honneur ce qu’il peut de plus parfait, et à trouver dans toutes ces compositions la vraie nature directement exprimée, sans aucune de ces bizarreries qui dominent aujourd’hui chez la plupart des musiciens, et qui ont eu pour unique initiateur un des plus grands de nos artistes allemands ! » Cet « initiateur des bizarreries, » dans la musique allemande de 1816, c’était, incontestablement, l’auteur de la Symphonie héroïque qui, l’année précédente, avec sa sonate de piano en la majeur (op. 101) et ses deux sonates pour