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direction, situation assez grave, qui a frappé tous les bons esprits, car elle pousse les indigènes à chercher des avis et des conseils au dehors, dans des pays qui ne peuvent qu’être hostiles aux giaours. Le rétablissement d’un docteur suprême serait donc avantageux, à condition de le bien choisir. En effet, le mahométisme, n’ayant ni liturgie, ni clergé (les muphtis, mollahs, etc., ne sont que des docteurs, des commentateurs et des casuistes), expose ses sectateurs, pour la plupart ignorans et passionnés, à tous les entraînemens de la prédication des fanatiques, qui constituent un danger d’autant plus grand que, les muphtis jouissant en Algérie d’une assez médiocre considération, l’influence réelle appartient aux marabouts et aux confréries, et ceux-ci constituent l’élément turbulent par excellence. On estime à 115 ou 120 le nombre des familles maraboutiques, car ce titre ne se transmet que par l’hérédité ; très peu d’entre elles sont en relations avec nos autorités. Quelques-unes cependant, dévouées à notre domination, reçoivent de légères subventions du gouvernement, ou sont autorisées exceptionnellement par lui à faire des ziaras ou quêtes : dans ce cas, leur action est précieuse, car elles combattent pied à pied, dans leur sphère d’influence, les agissemens des khouans, membres des confréries. Partout ailleurs, pour conserver leur prestige sur des populations ardentes, elles sont obligées de surenchérir à toutes les exagérations, à toutes les propositions incendiaires que débitent les khouans. Elles créent ainsi et attisent les foyers de fanatisme, d’où sortent les insurrections.

Bien que le proverbe recommande de s’en défier[1], les marabouts ont une importance considérable en Algérie ; mais il est facile d’exercer sur eux une surveillance assez sérieuse, car leurs immeubles sont parfois importans, et leurs déplacemens pourraient être signalés, s’il existait une police dans les tribus. Tout autre est l’action des mokkadems ou serviteurs des confréries, qui circulent de douar en douar, tantôt colporteurs, tantôt marchands de chevaux ou de bétail, tantôt simples voyageurs, dépourvus de tout signe distinctif, prêchant la bonne parole en se livrant à leurs affaires, et insaisissables, même aux autorités les plus vigilantes, tant qu’ils ne commettent pas quelque imprudence.

  1. « Craignez la famine par devant, la mule par derrière, et le marabout des deux côtés. »