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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/635

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propriété absolument assimilable à la nôtre ; en trente ou quarante ans, il aurait passé de l’état où se trouvait l’habitant des Gaules au temps de César, ou celui de la Germanie au temps de Tacite, au point où en sont actuellement les peuples de l’Ouest et du Centre, de l’Europe. C’était provoquer une révolution profonde et purement artificielle, car l’évolution économique n’avait pas encore appelé ces populations primitives au degré de civilisation que comporte la propriété individuelle, et qui seul permet de tirer un parti rémunérateur de ce mode d’exploitation. Peut-être même la nature du pays et les circonstances climatologiques exigeront-elles toujours dans certaines parties de l’Algérie l’existence d’une propriété collective.

Quoi qu’il en soit, la loi de 1873 fut votée et son application commença aussitôt. Avant d’en examiner les résultats, il est indispensable d’envisager rapidement la situation de la propriété collective dans le Tell et sur les hauts plateaux au moment où de si grands changemens se préparaient. En dehors des terres déjà constituées sous la forme individuelle, on pouvait ramener à deux types principaux la tenure du sol en Algérie : les terres « azels » et les terres « arch. » La terre azel était un bien domanial du beylick, concédé autrefois à certaines tribus moyennant une redevance annuelle nommée hokkor. Peut-être existait-elle dans les trois provinces, et il est permis de penser qu’Abd-el-Kader avait supprimé cette redevance et abandonné le sol aux tribus des provinces d’Alger ou d’Oran pour les entraîner à la guerre sainte ; en tout cas, l’existence des azels n’était plus légalement constatée que dans la province de Constantine, dans laquelle seulement se percevait et se perçoit encore aujourd’hui l’hokkor transformé en impôt. D’après les mœurs indigènes, la concession faite à une tribu appartenait bien à tous ses habitans ; mais, en vertu de son pouvoir absolu, le caïd avait le droit de répartir les terres, comme il faisait seul la levée des contingens de guerre et la répartition de l’impôt. Dans les terres azels, l’indigène était donc à la merci du caïd, et là il y avait un intérêt évident à faire disparaître le despotisme, la plupart du temps très lourd, de tous ces tyranneaux. Les azels n’existaient que sur une portion relativement restreinte du territoire.

Partout ailleurs régnait la propriété familiale. C’est à dessein que nous n’employons pas le mot de propriété collective, dont on se sert le plus généralement, mais qui ne correspond pas exactement