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saurait mieux démontrer l’insuffisance des bureaux du gouvernement général que d’examiner les instructions adressées par eux et la manière dont elles ont été suivies.

Le sénatus-consulte, se conformant à un ordre logique, passait du simple au composé : il eût semblé naturel d’opérer de même, c’est-à-dire de commencer l’application de la loi de 1873 par les territoires où la délimitation des tribus et des douars avait déjà été faite. Il n’en fut rien ; on aborda directement la constitution de la propriété individuelle dans des douars non délimités, et les difficultés y furent telles qu’on dut bientôt revenir à l’application du sénatus-consulte ; mais, au lieu de le faire franchement et rapidement, on attendit quinze années pour reconnaître la faute commise, et on persista à mener de front dans des territoires différens les deux sortes d’opérations. On a peine à concevoir une telle incohérence.

Avant de se lancer dans une entreprise d’aussi longue haleine et dont les conséquences pouvaient être si graves, il aurait été nécessaire de constituer solidement un personnel de géomètres ou, pour employer le terme légal, de commissaires-enquêteurs ; les élémens ne manquaient pas dans différentes administrations, et notamment dans le service topographique. La mission de ces commissaires était, en effet, des plus délicates : ils devaient non seulement pouvoir surveiller le géomètre délimitateur, mais surtout connaître les mœurs indigènes, les élémens du droit musulman et du droit français, car ils étaient appelés à se prononcer sur des questions de propriété souvent très complexes ; il fallait surtout qu’ils fussent doués de la probité à toute épreuve nécessaire aux fonctionnaires qui se trouvent en rapports constans avec les indigènes. Il s’en faut de beaucoup que ces conditions aient été réunies ; au point de vue technique, on a constaté à diverses reprises que des plans du même douar, dressés en vue du sénatus-consulte de 1863, ou du cadastre, n’avaient aucun rapport avec ceux qu’avait rendus nécessaires la constitution de la propriété individuelle, et, bien que ceux-ci fussent les derniers en date, ils n’étaient pas toujours les plus exacts. Ainsi le même travail avait été fait trois fois dans des vues différentes et, comme on le verra plus tard, il devait être complètement inutile. Au point de vue juridique, l’opération n’était pas mieux comprise : dans bien des douars, les commissaires-enquêteurs ont tranché les difficultés sans aucun discernement. Tantôt ils ont déclaré indigène une