Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernières années par le Tenement house Committee, le comité des logemens d’ouvriers, auquel le poète Richard W. Gilder a si noblement attaché son nom. Le Bend est effacé de la carte ; un parc public couvre l’emplacement de cette fameuse Courbe, de si triste mémoire ; la vieille geôle, dans les étroites cellules de laquelle étaient entassés les condamnés, a fait place à une prison sur les nouveaux modèles ; les logeurs qui ouvraient des garnis au commerce du vice, moyennant une augmentation de loyer, sont expulsés en grand nombre et d’ailleurs fort gênés pour leur trafic ; une loi votée l’hiver dernier envoie la femme en prison et condamne le propriétaire à une amende de 5 000 francs. La mortalité a baissé considérablement dans les quartiers pauvres. Combien est-il consolant de voir qu’une poignée d’hommes et de femmes, sans autre autorité que leur bon renom et un manque absolu d’égoïsme, arrivent à de pareils résultats ! La campagne du comité Gilder commença en 1894 ; dans toutes les villes des Etats-Unis, de semblables efforts sont tentés par les âmes généreuses, qu’on appelle Félix Adler, le docteur Rainsford, Jane Addams, le Père Doyles, Joséphine Shaw Lowell, J. H. Schiff, Robert de Forest, Lymann Abbott, et tant d’autres dont le mérite est égal, et que cite à chaque instant Jacob Riis en se mettant humblement à leur suite. L’énumération de ces noms de capitalistes, de banquiers, de prédicateurs, de publicistes, de femmes dévouées, véritables sœurs de charité laïques, ne représente rien pour nous ; mais, dans leur pays, ils sont « le levain fait qui lever la pâte » si lourde, si grossière qu’elle puisse ; être.

Ce qui nous touche particulièrement, c’est la tendresse témoignée aux enfans des pauvres par cet excellent père de famille, l’ex-Danois devenu Américain en vertu des services sans nombre qu’il rendit gratuitement à l’Amérique. Il a senti avec une acuité singulière l’impuissance de l’émigrant craintif et dépaysé, impuissance à élever ses petits, nés au milieu de nouveaux horizons, de nouvelles mœurs, de nouveaux usages, de nouvelles lois, dans la nouvelle patrie. Son but a été sans cesse de secourir ces épaves humaines qui demain seront des citoyens. Il n’y a pas longtemps qu’un tiers des petits Italiens, empilés dans des baraques ouvertes aux seules épidémies, mourait faute d’air et de soleil : Riis n’eut pas de repos avant d’avoir fait entrer l’un et l’autre dans ces quartiers déshérités. Il s’est constitué l’avocat des droits naturels de l’enfance et a conquis pour toutes les écoles