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Bismarck seul demeura imperturbable au milieu de l’émotion publique. Il se contenta de dire « qu’il retrouvait dans la lettre à Drouyn de Lhuys les sentimens que l’Empereur lui avait constamment témoignés chaque fois qu’il avait eu l’honneur de l’approcher et qu’il lui avait fait souvent transmettre par Goltz. » Il était convaincu que la guerre, dans l’état des armemens et des forces, ne serait pas longue, et qu’une seule bataille déciderait du sort de la campagne. Il lui suffisait donc de pourvoir aux nécessités de l’heure présente, et il remettait le reste au sort des armes, sachant bien que la défaite lui imposerait de bien rudes exigences et que la victoire le débarrasserait du manifeste impérial comme de beaucoup d’autres difficultés. Or, sur l’heure présente, il était absolument rassuré : le colonel de Loë et d’autres officiers, revenus de leur mission d’explorateurs en France, affirmaient que nulle part ils n’avaient vu traces d’un préparatif militaire et que la frontière du Rhin n’avait que ses garnisons ordinaires. L’heure était trop décisive et les responsabilités qu’on assumait par le silence comme par le conseil me parurent si graves que je jugeai indispensable de ne permettre aucune ambiguïté sur mon opinion. Je publiai donc dans le nouveau journal d’Emile de Girardin, la Liberté, trois articles sous le titre : le Droit. Ils montrent que les idées que j’ai exprimées dans ce récit ne datent pas d’aujourd’hui. Ils concluaient ainsi :

« Le Droit est manifeste. En Italie, il est avec l’armée qui s’avance pour délivrer Venise. En Allemagne, il est avec l’armée qui, guidée par l’Autriche, s’avance pour protéger Francfort et délivrer Dresde. Le Droit ne nous permet pas de mettre la main sur les provinces rhénanes ; il interdit à la Prusse de s’emparer du Hanovre, de la Hesse et des Duchés, et à l’Autriche de garder Venise. Maintenant dans toutes les langues et selon tous les rites des prières s’élèvent vers le Dieu des armées, pour lui demander avec supplications des hécatombes humaines bien complètes. Nous ne nous associons pas à ces voix qui blasphèment ; nous ne croyons pas au Dieu des armées. Nous ne croyons qu’au Dieu de la justice et de la paix. À ce Dieu nous demandons de préserver le chef, entre les mains duquel sont nos destinées, des résolutions précipitées et des desseins injustes. Qu’au lieu de chercher pour notre territoire un accroissement que nous ne lui demandons pas, d’attacher à nos flancs des populations qui ne parlent pas notre langue et ont oublié nos mœurs, qu’avec la