Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/757

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

force qu’assure le désintéressement et la clairvoyance qu’il inspire, il se borne à empêcher que l’oppression des uns ne devienne la condition de la délivrance des autres. Qu’il fasse respecter la justice aux bords de l’Elbe comme sur les lagunes de l’Adriatique. Si nous sortons de l’ancien Droit, que ce soit du moins pour entrer dans le Droit nouveau. Biffons définitivement de la langue politique du parti libéral le mot de compensation, aussi barbare que celui de conquête, et ne retenons plus que celui de Droit des peuples. »

Ces déclarations exprimaient l’opinion du grand public démocratique, qui, à la fois très italien et très antiprussien, loin de considérer les deux Unités comme solidaires et s’engendrant nécessairement, détestait celle d’Allemagne autant qu’il était fanatique de celle d’Italie. En cela, du reste, il était d’accord avec l’opinion de tous les esprits libéraux d’Europe. Gladstone, en réponse à une interpellation de Kinglake, dit aussi que « dans les Duchés, l’Autriche représentait la cause de la justice et qu’elle avait là les sympathies que l’Angleterre lui refusait en Vénétie. »


X

Après avoir longtemps traîné, l’événement se précipite. L’Autriche n’avait évacué les Duchés que pour commencer une procédure régulière devant la Diète. A l’annonce de l’envahissement du Holstein, elle demande la mobilisation de sept corps de l’armée fédérale (11 juin), donne ses passeports à Werther, l’ambassadeur prussien, rappelle le sien (12 juin). L’envahissement consommé, elle réclame l’action immédiate de la Confédération aux termes de l’article XIX du pacte fédéral. Le vote de la motion fut remis au li juin. C’était le jour décisif, car Bismarck avait annoncé qu’il considérerait comme une déclaration de guerre tout vote en faveur de la proposition autrichienne.

Quelque confiance qu’on ait dans le succès d’une entreprise, lorsqu’on touche au moment décisif, le cœur le plus confiant se trouble et en songeant aux chances contraires qu’aucune prévoyance ne réussit à conjurer, se demande anxieusement : Ne me suis-je pas trompé ? Telles étaient les dispositions de Bismarck pendant la journée du 14, tandis qu’il attendait la résolution de la Diète. Il ouvrit la Bible au hasard et tomba sur le psaume IX, verset 3 à 5 : « Je ferai de toi le sujet de ma joie et