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Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/811

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Mais ce fut bien pis au retour de Chamillart, quand on sut que l’armée battait en retraite ; et que Lille semblait abandonnée. Le déchaînement devint général. A en croire les amis de Vendôme, si on l’eût écouté, il aurait tout sauvé, délivré Lille et écrasé les ennemis. On oubliait le temps perdu par lui à Lovendeghem, la longue résistance opposée aux ordres du Roi, le retard systématiquement apporté à sa mise en marche, la lenteur de ses opérations. Au contraire le Duc de Bourgogne était rendu responsable de tout. C’était lui qui n’avait pas voulu qu’on marchât aux ennemis, lui qui avait reculé devant la perspective d’une bataille dont l’issue n’était pas douteuse, et qui avait préféré une retraite honteuse. Aussi les brocards, les couplets satiriques allaient-ils leur train, et c’était toujours à sa dévotion qu’on s’en prenait.


Hé quoi, mon prince, lui dit-on,
Voulez-vous laisser prendre Lille" ?
Hé ! oui-dà, dit-il, pourquoi non ?
J’aime bien mieux perdre une ville
Que de voir dans une action
Mes gens morts sans confession[1].


On exploitait contre lui un incident malheureux. Le jour où Vendôme, le Duc de Bourgogne, Berwick et Chamillart avaient été de concert inspecter les retranchemens des ennemis, le Père Martineau, le confesseur du Duc de Bourgogne, avait eu la fâcheuse pensée de se joindre à eux, par pure curiosité. On avait répandu le bruit que le Père Martineau lui-même s’était mêlé de donner son avis, qu’il avait conseillé l’attaque, et que, désolé de voir le Duc de Bourgogne s’y montrer opposé, il avait écrit au Père de la Chaise qu’il n’était pour rien dans une résolution aussi fâcheuse. Il n’y avait rien de vrai, sinon que le Père Martineau avait écrit en effet au Père de la Chaise, pour excuser sa présence un peu intempestive qu’il savait avoir été critiquée, sans dire un mot de l’affaire elle-même. Il n’en fallut cependant pas davantage pour couvrir de ridicule le Duc de Bourgogne, que « ce noir artifice, dit Saint-Simon, mettoit en valeur et en fait de guerre si fort au-dessous de son confesseur[2]. »

Les méchans allaient même plus loin. Ils mettaient en doute

  1. Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 281.
  2. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 333.