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confiance familière, vous aurez la paix ; votre cœur sera élargi, vous aurez une piété sans scrupule et une joie sans dissipation. » Mais, bien peu de jours après, l’inquiétude le reprend et il lui écrit d’un tout autre ton. Il le rassure presque négligemment sur le scrupule de demeurer dans une abbaye de filles. C’est une nécessité à laquelle on est accoutumé pendant le campement des armées. Ce n’est point là, semble-t-il penser, ce qui devrait le préoccuper. Des propos défavorables circulent et sont arrivés jusqu’à Cambrai. Ces propos ont fait évidemment impression sur l’esprit de Fénelon, et il résume en termes presque durs, sous sept chapitres différens, les choses les plus défavorables qu’on répand dans le monde contre le Duc de Bourgogne. On lui reproche d’être trop particulier, trop renfermé, trop borné à un petit nombre de gens qui l’obsèdent. Il écoute trop de personnes sans expérience, d’un génie borné, d’un caractère faible et timide qu’on va même jusqu’à accuser de manquer de courage. Tout en ayant de la répugnance à suivre les conseils outrés de Yen-dôme, il n’a pas laissé de suivre trop facilement ce qu’il a voulu, ce qui a un peu rebuté les principaux officiers généraux. Mais il n’a pas voulu le croire dans une occasion unique où il a paru avoir raison et où le parti qu’il conseillait lui aurait valu beaucoup de gloire. Il perd son temps pour les choses les plus sérieuses par un badinage qui n’est plus de saison et que les gens de guerre n’approuvent pas. Ses délibérations ne sont pas assez secrètes ; sa vivacité, jointe à sa voix qui est naturellement un peu éclatante, fait qu’on l’entend de loin quand il s’anime en raisonnant. Enfin, il ne prend pas assez de soin pour être averti de ce que préparent les ennemis, et comme Vendôme n’en prend pas davantage, il serait à souhaiter que quelqu’un le fît sous lui, de façon qu’on ne soit exposé à aucun mécompte faute de surveillance. Le public croit de plus qu’il a une dévotion sombre, timide, scrupuleuse et qu’il ne sait pas prendre une certaine autorité, modérée, mais décisive. La lettre se termine par des encouragemens et par d’affectueux conseils. « Pour votre piété, si vous voulez lui faire honneur, vous ne sauriez être trop attentif à la rendre douce, simple, commode, sociable. Il faut vous faire tout à tous pour les gagner tous… et retrancher les scrupules sur les choses qui paraissent des minuties[1]. »

  1. Fénelon, Œuvres complètes. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 271 et 272.