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incapable de comprendre les termes du procès-verbal, que le garde verbalise loin de ses chefs et peut relater sans grande précision les circonstances du délit, il est facile de reconnaître que, là encore, il y a place pour un arbitraire absolu. Que dire d’ailleurs du garde indigène dont la mentalité est si différente de la nôtre ? Dans ce pays où toute autorité suppose un privilège, il trouve tout naturel de commettre à son profit tous les délits qu’il réprime chez autrui ; il coupe le bois qui lui est nécessaire, fait paître ses troupeaux, grossis par la confiscation sommaire des animaux qu’il rencontre, sans que l’administration se doute ou se soucie d’entraver ses abus. Quelles que soient la valeur personnelle et l’énergie des fonctionnaires de l’administration forestière, il leur est bien difficile de détruire des traditions anciennes qui s’étalent parfois au grand jour avec une incroyable ingénuité. Tout moyen est bon pour exploiter l’indigène, et les bois sont parfois, en Algérie, un placement très lucratif. N’a-t-on pas vu, il y a quelques années, afficher sur les murs de plusieurs localités la mise en vente d’une propriété boisée dont on détaillait les revenus, parmi lesquels un des principaux était le produit des amendes infligées aux indigènes ? L’administration pourrait-elle affirmer que, malgré toute sa vigilance, ses agens subalternes ne succombent pas parfois aux mêmes tentations que ceux des particuliers ?

Parmi les moyens souvent préconisés pour remédier à une aussi fâcheuse situation, le plus efficace serait d’user des dispositions du Code forestier qui autorisent la transformation des amendes en prestations forestières, mais encore faudrait-il rendre cette transformation obligatoire et non facultative pour le délinquant ; de cette manière, on éviterait certaines catégories de malversations, on se procurerait une main-d’œuvre très utile à l’amélioration des forêts domaniales, et la répression deviendrait beaucoup plus efficace à l’égard de l’indigène, qui ne craint rien tant que le travail. La bonne gestion des forêts gagnerait aussi certainement si l’on autorisait, avec prudence et discernement, le pâturage dans certaines forêts ou portions de forêts composées d’essences auxquelles cette mesure serait peu préjudiciable. On a souvent remarqué que de semblables tolérances préservaient les bois de l’incendie allumé par d’ignorans malfaiteurs, qui s’imaginent étendre leurs zones de pâturage en supprimant brutalement l’obstacle.