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flatte, on le sait, d’être tout intérieur et prendrait volontiers pour devise la parole du moraliste : « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. »

Mais Shakspeare ne représente pas les âmes isolées et abstraites. Il les fait vivre au sein et comme dans l’atmosphère de l’universelle vie. Une part est donnée en son œuvre aux accessoires et aux alentours : aux choses, à la nature, à la couleur historique ou locale, au spectacle enfin, que le théâtre de son temps était incapable de fournir aux yeux, mais que chacune de ses pièces, et parfois un seul de ses mots, suggère à l’imagination. par-là, par l’abondance des élémens ou des détails extérieurs, par le décor, par l’appareil ou l’attirail scénique, le génie shakspearien s’est adapté sans peine au genre musical qui précéda le drame lyrique, et c’est de ce point de vue que l’un des innombrables commentateurs du poète a pu regarder son œuvre comme une station sur la route de l’opéra[1].

De cette œuvre immense une partie seulement, — une parcelle même, au regard de l’ensemble, — a passé jusqu’ici dans la musique ou du moins s’y est conservée. Le catalogue dressé dans le volume qui fait le sujet, ou l’occasion, de ces pages est riche de noms inconnus. Au premier rang des autres, des plus glorieux, on lit celui de Coriolan. Coriolan, dans l’histoire de la musique, ne désigne qu’une ouverture, mais elle est de Beethoven, et si le drame pour lequel elle fut composée n’est pas celui de Shakspeare, on peut au moins reconnaître dans 1 âpre et brève symphonie, dans le conflit de sentimens qu’elle représente, une ébauche et comme un raccourci de l’âme du héros shakspearien.

A peu d’années de distance, mais à l’autre pôle de l’art, l’Otello de Rossini paraît aujourd’hui, — sauf deux pages au dernier acte, — une caricature du véritable Othello. De ces deux pages, l’une a pour texte une terzine de Dante et nous l’avons récemment rappelée ; la seconde n’est pas de Shakspeare, il s’en faut, pour les paroles, — mais, par le sentiment, elle est digne de lui. Bulle, trop belle peut-être d’ordonnance et d’eurythmie, la romance du Saule est un air d’opéra, presque de concert. Elle se divise en trois couplets. Une harpe, touchée par la jeune fille, l’annonce longuement et jusqu’à la fin l’accompagne. On peut critiquer la régularité du partage et la durée de la

  1. Barret Wendell (cité par M. Elson).