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qui seule fait obstacle à la réalisation immédiate ou prochaine du rêve. Il semble que la France ait assez chèrement payé le droit de se défier d’un rêve qui fut celui de Marat, de Robespierre, et de Rousseau !

Mais cette erreur, si c’en est une, — et nous le croyons, — n’est pas la plus grave que M. J. Novicow ait commise en son livre ; et ce qui le vicie tout entier, c’est l’équivalence qu’il a d’abord établie, dans son Introduction même, entre la « diffusion d’une langue » et « l’expansion d’une nationalité. » « Bien que la langue littéraire, y disait-il, et la nationalité soient loin d’être des termes synonymes, cependant la langue est le signe le plus apparent de la nationalité… On peut donc mesurer grosso modo les progrès de la nationalité par l’extension de la langue. » Oui, peut-être, grosso modo, mais très grosso modo ! Il écrit encore, dans sa Conclusion : « Rien ne prouve que la natalité française restera éternellement aussi faible que de nos jours. Mais, quand bien même il en serait ainsi, la natalité des Frances africaines et américaines portera le nombre des Français, à la fin du XXe siècle, à près de cent millions d’hommes, rien que par l’excédent des naissances sur les décès. D’autre part, les Français d’Europe pourront facilement absorber, tous les ans, une centaine de milliers d’étrangers, ce qui, dans le même laps de temps, pourra augmenter la population de la France d’une dizaine de millions. En troisième lieu, il est parfaitement dans le domaine des réalités que 200 millions d’hommes, dans le domaine colonial de la France, adoptent le français comme langue de culture intellectuelle. Enfin, il est presque certain que 4 millions d’Européens appartenant à l’élite de la société deviendront partiellement Français. Et toutes ces probabilités, basées non sur des fictions, mais sur des faits positifs et réels,… ouvrent d’immenses perspectives à la nationalité française. »

Acceptons-en l’augure, pour faire plaisir à M. J. Novicow, et tenons ses calculs, qu’on appellerait mieux des « spéculations, » pour des « faits positifs et réels. » Lassés, dit-on, de la monotonie de l’existence qu’ils vivent à Londres ou à Berlin, un Anglais ou un Allemand viennent « s’amuser » à Paris ! Avons-nous lieu d’en être si fiers ? Pareillement devons-nous l’être de ce que nos vaudevilles ou nos opérettes fassent le tour du monde ? et, quand on veut lire « un mauvais livre, » si « quatre millions d’Européens, appartenant à l’élite de la société, » le choisissent français,