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Anglais ne l’ont jamais rendu ; ils en ont fait une des plus fortes places de la Méditerranée, et, depuis deux siècles qu’ils y sont cramponnés, aucun siège n’a réussi à le leur reprendre.

C’est un lieu commun d’appeler Gibraltar la clé de la Méditerranée ; et cependant il n’est plus vrai de dire aujourd’hui que la forteresse anglaise en ferme, à proprement parler, l’entrée. Au temps de la navigation à voiles, la direction des vents et la violence des courans[1] obligeaient les navires qui voulaient sortir de la Méditerranée ou y pénétrer, à courir des bordées dans le détroit et à passer sous le canon du rocher, sous peine d’être jetés sur le récif de la Perle, qui termine la côte occidentale de la baie d’Algésiras, où tant de bâtimens ont été et vont encore, par les temps de brouillard, se briser. Il n’en est plus de même pour les bateaux à vapeur ; ils peuvent longer la côte africaine, où les eaux sont partout profondes, et échapper au feu de l’artillerie la plus perfectionnée. Si, en effet, le détroit, dans sa partie la plus étranglée, n’a que 14 kilomètres de large, entre la « punta Canales, » un peu à l’est de Tarifa, et la « punta Ciris, » il en a 21 entre Gibraltar et le Monte-Acho (Ceuta) ; si les gros canons peuvent, à la rigueur, envoyer un obus à cette distance, leur tir est, en pratique, absolument inefficace, et une escadre pourrait défiler sous leurs feux sans courir aucun risque ; l’expérience a prouvé qu’elle pouvait passer sans être même aperçue : c’est ce qui est arrivé, lors des manœuvres navales de 1900, dirigées par l’amiral Gervais ; toute sa flotte traversa le détroit, feux éteints, sans être signalée par les sémaphores.

Ainsi, Gibraltar, dépourvu de vaisseaux de guerre, ne pourrait opposer aucun obstacle à la traversée du détroit ; aussi bien telle n’est pas sa destination ; son rôle est de servir de « point d’appui » aux armées navales anglaises, et c’est à ce titre qu’il est redoutable et qu’il commande réellement l’entrée du canal. Cependant aucune escadre n’en fait son port d’attache, comme à Malte ; il n’y a, en permanence, derrière le « nouveau môle, » qu’une douzaine de torpilleurs, deux destroyers et une canonnière garde-côtes ; mais, souvent, l’escadre très mobile que les Anglais appellent Channel-Squadron, vient y mouiller et y séjourner. N’est-ce pas là, en effet, qu’elle serait le mieux placée pour

  1. Un courant de surface, d’une vitesse de 4 kilomètres à l’heure, va de l’Océan dans la Méditerranée, tandis qu’un courant de fond glisse, en sens inverse, sous le premier.