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future, mais sans enfer. Jésus-Christ tenait une grande place dans sa pensée, dans sa conduite : il l’aimait, l’admirait. Pour être étranger à cette vie spirituelle, mystique, qui tenait tant de place, non seulement chez un Newman, mais chez un Keble ou un Pusey, il n’en avait pas moins une sorte de piété soucieuse de réaliser, en lui et chez les autres, les vertus naturelles dont le Christ lui semblait apporter le modèle. Seulement, dans quelle mesure admettait-il l’Incarnation, le Verbe fait chair, le Christ non seulement Fils de Dieu, mais Dieu lui-même, on ne le voit pas nettement. Il évitait les déclarations formelles. A l’entendre, le Christ nous avait proposé un idéal de vie morale ; il ne nous avait pas apporté un enseignement dogmatique. Dans l’Evangile, dont il aimait à se nourrir, il trouvait la personne vivante du Christ, non le code d’un système religieux. Quant à l’institution divine de l’Eglise, de sa hiérarchie, de ses pouvoirs surnaturels, de ses sacremens, cela n’existait pas pour lui. L’ordination d’un prêtre ne lui semblait guère être rien de plus que l’appointement d’un officier public[1].

Sa propre indifférence, jointe à la tournure aimable et bienveillante de son esprit, lui inspirait d’ordinaire une large tolérance, une curiosité impartiale pour toutes les doctrines, même pour celles auxquelles il était le plus étranger. Loin de partager les préventions protestantes contre le papisme et les papistes, il gardait des relations amicales avec plus d’un converti ; quand sa propre sœur se fit catholique, il lui resta tendrement attaché, et il fit poser, après sa mort, une plaque commémorative dans une chapelle où elle avait l’habitude d’aller prier. Ses voyages le conduisaient-ils à Rome, il s’y montrait sensible à la grandeur et aux espérances du catholicisme. Il est vrai que, peu après, il n’était pas moins ému des cérémonies du Kremlin ou du mont Athos. Mais ceux à qui allaient ses plus particulières complaisances étaient les esprits qui s’écartaient le plus des dogmes traditionnels ; il avait le goût de l’hérésie et des hérétiques, ne ressentant d’irritation que contre ceux qui prétendaient les condamner.

La tolérance de Stanley pour les hérésies d’autrui se doublait d’une entière tranquillité en ce qui concernait ses propres doutes. Rien, chez lui, des angoisses tragiques par lesquelles tant d’âmes

  1. Lettre de 1852, Life of Stanley, t. II, p. 437.