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est simplement le fait d’un maniaque, Froude a constamment altéré la signification, et le texte même, des lettres que Carlyle lui avait léguées. Des centaines d’exemples ne suffiraient pas à donner une juste idée de la façon dont il a travesti la vérité pour faire dire, de force, à Mme Carlyle qu’elle était une victime de l’égoïsme de son mari. Il a commencé par imaginer de toute pièce un amour d’enfance de son héroïne pour l’ami de Carlyle, Irving, qui, après lui avoir donné des leçons, l’avait quittée quand elle avait onze ans. Il a soutenu, tout en ayant entre les mains la preuve du contraire, que Mme Carlyle avait été élevée dans le luxe, qu’elle avait été traînée malgré elle à Craigenputtock, qu’elle y avait été « condamnée » à cuire le pain et à traire les vaches : tout cela formellement contredit par nombre de lettres, que Carlyle avait annotées pour la publication, et que Froude a eu soin de supprimer tout entières.

Il a supprimé également les nombreux passages où Mme Carlyle expliquait à ses amis qu’elle préférait n’avoir à son service qu’une seule domestique, pour pouvoir plus à l’aise diriger son ménage. Il a supprimé les passages où Mme Carlyle expliquait que c’était elle-même qui, l’été, renvoyait son mari, afin de pouvoir procéder à un nettoyage général de sa maison. Et il a affirmé, on s’en souvient, que Carlyle exigeait de sa femme qu’elle n’eût qu’une seule domestique, et qu’il s’enfuyait tous les étés, laissant à sa malheureuse femme l’ennui du nettoyage. D’autres fois, pour pouvoir prétendre que Carlyle avait négligé d’écrire à sa femme, il a supprimé d’un seul coup plusieurs lettres où celle-ci remerciait son mari de sa ponctualité à lui écrire tous les jours. D’autres fois encore, Mme Carlyle ayant parlé de la « démoralisation du mariage » à propos d’un homme qui avait empoisonné sa femme, Froude a supprimé tout le contexte, de façon que Mme Carlyle semblât parler à propos de son propre mari. Et je n’ai pas besoin de dire qu’il a inévitablement supprimé tous les endroits où Mme Carlyle célébrait la tendre bonté de Carlyle pour elle-même ou pour ses parens, vingt endroits du genre de celui-ci, qui se trouve dans une lettre de Mme Carlyle à la mère de son mari : « Ma mère, qui a demeuré quelque temps chez nous, a été très heureuse, et très sensible aux bons soins de Carlyle pour elle. Elle m’a dit de lui qu’il avait été pour elle tout ce que son cœur pouvait désirer. Hélas ! quand serez-vous en droit de dire la même chose de moi ! »

Mais le principal effort de Froude semble s’être porté sur l’épisode des relations de Carlyle et de sa femme avec lady Ashburton II s’est mis en tête de nous prouver que Carlyle avait contraint sa femme à