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nous débarquons sur le quai de la vieille colonie portugaise. Tout de suite, comme aux Philippines, on a l’impression de la déchéance d’une race, le sentiment de quelque chose de mort que rien ne vivifie plus. De grands édifices délabrés qui ressemblent à des cloîtres, des rues tortueuses et étroites, enserrées de maisons noires qui paraissent inhabitées. Peu de monde dans la vieille ville. Quelques jeunes gens au teint olivâtre, coiffés de chapeaux melon, montrant par des signes indélébiles que le sang qui coule dans leurs veines est mêle de sang chinois ; des femmes couvertes de capelines noires, glissant sans bruit dans les rues désertes, d’un air découragé et las. On devine que tous ces gens sont inoccupés, indifférens à la vie et aux affaires. Ils doivent mener une existence de petits bourgeois de province, végéter dans leur coin, entre les mêmes personnes, les mêmes idées, les mêmes usages, les mêmes choses antiques et surannées. Peut-être, une fois l’an, vont-ils à Hong-Kong acheter du linge et des vêtemens.

Voilà tout ce qui reste de l’ancienne puissance portugaise, des hardis navigateurs qui ont sillonné tant de mers, occupé tant de points du globe. C’est ici que Camoëns, dans un site sauvage de rochers et de vieux arbres, a écrit ses vers fameux. Aujourd’hui sa statue, au milieu d’un jardin abandonné, se couvre de lichens et de mousses, comme si le grand aventurier qu’il fut voulait se voiler la face devant la décrépitude de ses descendans. Et toujours se retrouve, d’une façon saisissante et poignante à la fois, cette grande loi de la nature qui veut que les générations passent et disparaissent, se remplacent et se succèdent, et que sans doute, les peuples à leur tour meurent comme sont morts les hommes.

C’est cependant une jolie ville que ce Macao bâti sur une colline, en face d’une baie superbe. Tout en haut, sur une pointe dénudée, près d’un fort délabré où nul soldat ne monte la garde, une vieille église en ruine dresse son squelette de pierre et son clocher démantelé. Quelques villas modernes, appartenant à des gens de Hong-Kong, s’étagent au bord de la mer près d’un grand hôtel américain.

Macao est devenu en effet le lieu de plaisance et la maison de jeu de la grande ville anglaise. C’est le Monte-Carlo de l’Extrême-Orient. Les tripots qui y fonctionnent procurent aux autorités portugaises leur principal revenu. On n’y pratique ni la