Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bagages. Nous nous dirigeons tant bien que mal, à la boussole, et après nous être ensablés plusieurs fois, avoir été forcés de transborder, de percher, de tirer, de ramer, nous finissons par arriver à midi à Takou.

Ce premier accueil du Pe-tchi-li n’est pas aimable et nous emportons un mauvais souvenir de ces quatre heures de navigation pénible, sous un soleil de plomb. Le train que nous prenons n’arrive à Pékin qu’après la fermeture des portes. Pour ne pas coucher en rase campagne, sous les murs de la ville, nous sommes donc obligés de nous arrêter à Tien-Tsin.

Les concessions européennes y constituent une jolie ville de province, aux rues plantées d’arbres, larges et bien tenues. La colonie étrangère centralise toutes les transactions commerciales de la Chine du Nord et particulièrement le marché des thés. La ville chinoise, plus importante que Pékin au point de vue de la population, — elle compte plus d’un million d’habitans, — est entourée de murailles et sale comme toujours.

Mais voilà que nous apprenons, en débarquant, des nouvelles désagréables. Une société secrète, connue sous le nom de « Boxeurs, » s’agite énormément. Des troubles ont éclaté en divers points ; des chrétiens ont été massacrés, des villages incendiés. On annonce un mouvement général pour demain, 28 mai, premier jour de la nouvelle lune. L’amiral C… arrive de Pékin avec quinze de ses officiers. Il rejoint son bord pour attendre des ordres. Nous ne partirons que demain à midi.

28 mai. — Mauvaises nouvelles, au réveil. Les insurgés ont marché, cette nuit. Ils se sont emparés d’une partie du chemin de fer du Sud. Ils ont comme toujours incendié et massacré. Ils paraissent se diriger sur Pékin. Cependant la route est encore libre et nous décidons de tenter fortune.

Midi : nous sommes installés dans le train. Tout à coup, un monsieur s’avance, c’est le colonel V…, attaché militaire russe. Il demande à parler à l’un de nous. Je le suis sur le quai : « Monsieur, me dit-il, je dois vous avertir, pour vos compagnons et surtout vos compagnes, qu’il est probable que le train ne passera pas. Les rebelles ne sont plus qu’à deux heures de la station de Fun-Taï. Ils en seront maîtres avant votre arrivée. La compagnie décline toute responsabilité et demande aux voyageurs qui veulent, à toute force, continuer leur route de signer une déclaration qui la dégage complètement. » Long conseil de