Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compositions mythologiques du maître, le Printemps, la Naissance de Vénus, la Pallas, le Mars et Vénus de Londres : c’est seulement dans ces quelques morceaux qu’on peut, à la rigueur, imaginer que Botticelli se soit départi du soin scrupuleux avec lequel, dans tout le reste de son œuvre, il s’est toujours servi de son art non comme d’une fin en soi, mais comme d’un moyen pourfendre jusqu’aux détails les plus insignifians de la réalité.

L’hypothèse de M. Streeter repose-t-elle du moins sur un seul argument autre que l’impression personnelle du critique anglais ? Elle aurait pour elle, d’après son auteur, ce fait significatif, que l’on n’est point parvenu à trouver exactement, dans les poèmes de Laurent de Médicis et de Politien, des textes qui aient pu servir de programme aux peintures allégoriques de Botticelli. Et cependant un passage que cite M. Streeter de la Giostra de Luca Pulci nous offre une ressemblance bien frappante avec le Mars et Vénus de la National Gallery. Pour la Naissance de Vénus et le Printemps, en vérité, aucun des poèmes proposés jusqu’ici ne paraît avoir directement servi de source à l’artiste : mais c’est que nous sommes aujourd’hui bien empêchés de connaître les sources où s’inspiraient les peintres anciens. Il y a au Musée des Offices, tout proche de la Naissance de Vénus, une délicieuse petite allégorie de Giovanni Bellini dont le sujet même était matière à d’innombrables discussions entre les critiques, jusqu’au jour, très récent, où l’un des plus# savans et le plus ingénieux d’entre eux, M. Georges Ludwig, a découvert à la Bibliothèque Nationale un vieux poème français dont la tableau de Bellini s’est trouvé être l’illustration absolument littérale. Qui sait si Botticelli n’a pas exécuté ses allégories sur commande, et ne s’est pas borné à y figurer, trait pour trait, le rêve subtil de quelque courtisan de Laurent le Magnifique ? Supposition infiniment plus probable que celle de M. Streeter, pour peu qu’on réfléchisse aux habitudes artistiques des ouvriers de la Renaissance : mais nous possédons en outre un document qui la rend tout à fait certaine, et que M. Streeter lui-même n’a pu s’empêcher de nous signaler. C’est un extrait du Libro di Pittura d’Alberti, développant, dans les termes que voici, le sujet d’un tableau qu’aurait peint jadis le fameux Apelle :


Il y avait une fois un homme qui avait de très longues oreilles, et près de lui se tenaient deux femmes, l’Ignorance et la Méfiance. Devant son tribunal apparaissait une autre femme, la Calomnie, qui était très belle, mais dont le visage respirait l’intrigue. Dans une de ses mains elle tenait une torche enflammée, de l’autre elle traînait par les cheveux un jeune