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serai fier de vous y rencontrer ; nous donnerons une nuit de congé au souci, si nous nous retrouvons, et nous ferons échange de rimes l’un avec l’autre.

« Le pot de quatre quarts, nous le ferons tinter ; nous le baptiserons avec de l’eau bouillante. Puis nous nous assiérons et boirons notre coup, pour nous réjouir le cœur ; et, ma foi, nous serons de meilleures connaissances avant de nous quitter.

« Il n’y a rien comme de la bonne ale forte ! où verrez-vous jamais des hommes plus heureux, ou des femmes plus gaies, douces et savoureuses d’un matin à l’autre, que ceux qui aiment à boire une goutte dans le verre ou la corne[1] ? »

Le génie de Burns est en contact si direct avec la vie, il pénètre si bien les choses mêmes, qu’il leur devient intérieur et sans effort les exprime dans leur naturelle vérité. De cette communion naît la sympathie. On la sent déjà, cette sympathie, ou on la devine, secrète, inavouée, latente, dans le poème des Joyeux Mendians. Mais elle n’est encore qu’un oubli de soi, un détachement, une identification de l’auteur avec ses personnages, à la façon d’un Shakspeare, par exemple. La pièce est, à vrai dire, une scène dramatique. Ajoutez à cette communion parfaite un retour du poète sur soi, l’émotion personnelle et, vis-à-vis de tous les êtres ou de toutes les choses, cette sorte d’intuition d’une fraternité presque douloureuse, avec la rêverie qui l’accompagne ; admettez surtout qu’il s’agisse d’humbles existences n’ayant point de personnalité et auxquelles le poète peut prêter la sienne : vous avez tout le lyrisme de Burns. Ce n’est point celui de nos grands lyriques, qui ont dans leur propre cœur une source jaillissante de douleur et de joie, de détresse et d’extase. C’est un simple attendrissement devant les êtres et les choses, soudain mieux pénétrés et mieux compris, pénétrés jusqu’à leur propre cœur et compris jusqu’à l’amour. Ce lyrisme-là a donné dans l’œuvre de Burns de courts chefs-d’œuvre : La mort et les dernières paroles de la pauvre Mailie ; — Salut du jour de l’an d’un vieux fermier à sa vieille jument Maggie ; — A une pâquerette de montagne ; et surtout A une souris[2].

Enfin, le réalisme de Burns est plus original, plus savoureux encore et d’un plus étonnant humour lorsqu’il se mêle à une

  1. Epistle to John Lapraik. Centenary Ed., t. I, p. 155 et 380.
  2. The Death and Dying Words of Poor Mailie ; the Auld Farmer’s New-Year. Morning Salutation to his Auld Mare Maggie ; to a Mountain Daisy ; to a Mouse.