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C’est près de Djocja que se trouve le fameux temple de Boeroeboedoer. Nous partons un matin dans deux voitures à quatre chevaux qui vont très vite, presque toujours au galop. Le cocher excite ses bêtes en faisant incessamment claquer une grande chambrière. Un coureur, debout derrière la voiture et armé d’un petit fouet, court parfois jusqu’aux chevaux de volée et pousse, le reste du temps, pour les animer sans doute, un cri continu et strident. Le trajet se fait en trois heures. La route plate et ombragée semble ne jamais sortir d’une succession ininterrompue de villages dont les maisons basses disparaissent sous les cocotiers et les bambous. Toujours la même foule bariolée et active qui dévale le long du chemin et qui parfois se précipite à genoux dans les fossés, en nous tournant le dos, pour nous témoigner son respect.

Peu à peu nous nous rapprochons d’une chaîne de montagnes dont les sommets aigus et décharnés ont des aspects bizarres de dents, de griffes et de cornes. C’est au pied de ces monts que se dressent les ruines. Enfin, à un tournant du chemin, nous nous trouvons face à face avec l’énorme masse du vieux temple.

Notre premier sentiment est une déception. On m’avait tellement dit que Boeroeboedoer pouvait rivaliser avec Angkor que je demeure stupide. De fait, il faut être aveugle ou avoir l’amour-propre javanais singulièrement développé, pour mettre en parallèle deux monumens si dissemblables. Rien ici de la splendide conception du fameux temple khmer, de la perspective grandiose de l’avenue qui y mène, de l’échelonnement savant des galeries et des tours, de tout cet art en quelque sorte européen qui fait qu’Angkor-Vat aurait pu être conçu par un Mansard génial. Boeroeboedoer est, au contraire, un type très pur de ce style hindou dans lequel l’effet général est sacrifié au détail, l’ensemble au particulier. Ces sortes d’édifices demandent à être regardés pierre par pierre. Alors on y découvre des choses charmantes, des ornementations ingénieuses, des sculptures compliquées et naïves. Mais tout cela est individuel, n’est relié que par la juxtaposition, ne concourt pas, dans une mesure déterminée, à un résultat général. Il y manque ce que nous cherchons toujours malgré nous, avec nos cerveaux nourris de l’art grec, le plus logique des arts, le « pourquoi, » la raison d’être de chaque partie au point de vue du tout.

A Angkor, l’ornementation est merveilleusement comprise