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SÉCHELLES

Il est, par le monde, peu de points de relâche qui soient aussi jolis d’aspect que Mahé des Séchelles. Une baie vaste et bien abritée, entourée d’îlots rocheux, et l’île principale, couverte de verdure et de fleurs, où la petite ville de Mahé se cache sous les grands arbres. La température, en cette saison, est délicieuse : vingt-quatre ou vingt-cinq degrés. C’est, comme l’île Maurice, une des colonies que nous avons perdues et que se sont appropriées nos amis les Anglais. Aux devantures des boutiques, de vieux noms français s’étalent encore. Les nègres qui forment la portion principale de la population parlent un patois dégénéré de la langue du grand siècle, peu compréhensible, mais réjouissant.

L’état de santé, un moment assez grave, de M. de B… nous obligea à un séjour de trois semaines à Mahé. Après avoir parcouru dans tous les sens la petite île uniformément jolie, mais dénuée d’intérêt, notre vie se concentra tout entière dans la pêche à la ligne. C’est avouer que j’ai peu de choses à en dire et que le jour où nous levâmes l’ancre fut considéré par tous comme un jour heureux.

Dès lors nous naviguons à toute vapeur sur le chemin du retour, nous arrêtant à Aden juste le temps nécessaire pour faire du charbon. Nous trouvons dans le Sud de la Mer-Rouge une température accablante. Il semble, en cette saison où le soleil d’été a surchauffé les deux rives, qu’on passe à travers un four dont l’air est irrespirable.

Heureusement, après deux jours, nous rencontrons des vents du Nord qui rendent la fin de la traversée presque agréable.

Quelques heures de halte à Port-Saïd, où nous ressentons une première et pénible impression d’Europe, et nous voilà flottant de nouveau dans cette Méditerranée que nous retrouvons, — après bien des mois, — avec la satisfaction d’avoir réalisé nos rêves, avec le regret aussi que les espérances de jadis ne soient plus aujourd’hui que du passé. Ainsi la vie s’écoule en une poursuite sans fin. Chaque fois qu’un but est atteint, il s’en présente un autre, plus désirable encore. Voyageur fatigué, pour toi il n’est point de port, point d’abri où tu puisses t’étendre pour