Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 16.djvu/675

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de « pudeur farouche, » ses retours de câlinerie, son enjouement, ses gentillesses de « petite méchante » et de « petite vilaine » ne tendent pas à autre chose. Ce sont pour elle les moyens de parvenir, ce sont les avances, c’est la mise de fonds. D’ailleurs experte à tous les marivaudages, spirituelle, subtile, adroite et méfiante, elle est faite pour les manèges de cour, en aime par goût et par habitude les intrigues, se plaît au mystère, se prête aux cachotteries, se prépare à s’insinuer en flattant. Comme elle a un but très précis, qu’elle ne perd jamais de vue, elle y revient à travers tous les détours et y ramène obstinément son correspondant, qui en vain tente de s’échapper et s’engage dans tous les chemins de traverse. L’unique faiblesse de cette ambitieuse est précisément dans l’âpre té de son ambition. Elle désire trop le succès pour ne pas y croire. Son goût du secret et des manigances fait qu’elle n’est pas suffisamment en garde contre la ruse d’autrui. Par trop d’habileté, elle devient dupe.

Cette petite rouée, Mirabeau a entrepris d’en faire la conquête à distance. Nous allons le voir au vif dans son rôle de séducteur. Et d’abord il se compose soigneusement un personnage. Il connaît assez les femmes pour savoir que le plus sûr chemin pour entrer dans leur cœur, si fermé soit ce cœur, c’est la pitié. Et il veut inspirer à Julie un tendre intérêt. Donc il se peint comme un homme malheureux, persécuté quoique puissant, victime de beaucoup d’inimitiés, mais victime surtout de sa jeunesse, de ses folies, de sa fidélité en amour. Il est sensible ; c’est sa marque. Il est homme d’honneur ; c’est sa définition : « Personne, j’ose le dire, ne porte plus haut que moi la religion de ses promesses. Je me sacrifierais tout entier plutôt que de me permettre la moindre inexactitude de ce genre… Je suis toujours vrai, parce que la vérité est le premier devoir de l’homme, mais surtout parce que telle est ma nature… Moi qui ne sus jamais que dire : où est l’honneur, marchons ! » Toutes ces assurances sont mêlées de complimens, bien faits pour flatter l’amour-propre d’une femme, même quand elle sait qu’ils ne s’adressent qu’à l’image qu’on s’est forgée d’elle. Toutes ces galanteries sont entrecoupées de développemens généraux, dissertations morales, anecdotes grivoises, destinées à faire briller le talent du causeur. C’est le grand jeu. Toutefois Mirabeau est trop perspicace, et il a trop bien lu dans l’âme intéressée de sa « Liriette » pour ne pas comprendre que ce qui suffit avec une Sophie de Monnier