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l’Homme-Dieu : son expression principale était « l’humilité. » C’est de ce mysticisme que saint Bernard avait été le premier grand interprète : saint François en fut l’achèvement suprême.

Mais, chez lui, comme nous l’avons dit, cet esprit de piété s’unissait à un esprit social nouveau qui commençait à se répandre de par le monde, en opposition avec l’ordre établi des choses dans l’Église et dans l’État. Fils d’un marchand, né dans une des plus démocratiques entre les petites cités italiennes, François était un enfant de la démocratie. Et, jusqu’au bout, ce même esprit de liberté populaire l’anima. Quand il fonda son ordre, il l’organisa sur le modèle du gouvernement démocratique de sa ville natale, se refusant absolument à écouter ceux qui lui recommandaient la forme féodale des vieux ordres monastiques. L’absence de cérémonial, l’extrême simplicité de vie, tous les traits caractéristiques des premières communautés franciscaines s’accordaient avec les coutumes civiles des meilleures républiques du temps.

Et la rapide et profonde influence de saint François et de son ordre, au XIIIe siècle, résulte de ce que, en eux, les deux grandes forces qui se partageaient alors la vie humaine se sont trouvées réunies : l’esprit d’indépendance démocratique, et une fervente dévotion à la personne terrestre du Christ. L’harmonie de ces deux forces, c’est elle qui constitue essentiellement l’esprit franciscain.


Le P. Cuthbert s’élève ensuite, avec grande raison, contre l’assimilation qu’on a prétendu faire de saint François aux fondateurs de sectes du moyen âge. Ceux-ci voyaient surtout dans la pauvreté une protestation contre les mœurs corrompues de l’Église de leur temps : la pauvreté était pour eux un programme politique. Pour saint François et les premiers franciscains, elle était avant tout « une conversion personnelle au Christ. » Les frères mendians songeaient d’abord à se réformer eux-mêmes, et ce n’est que par la force des choses qu’ils sont devenus aussi des réformateurs de la société. Rien n’était plus étranger à leur cœur, non plus, que de porter un jugement quelconque sur les abus de l’Église. « Que le frère, — écrivait saint François dans sa règle, — se garde bien de juger ceux qui vivent délicatement, ou qui sont vêtus d’étoffes de prix ! » Toujours lui-même et son ordre ont considéré l’Église comme la Sponsa Christi, et ont fait profession de la respecter. Et toujours aussi ils se sont distingués des Vaudois et des Cathares par la profonde gaieté qui rayonnait d’eux : « gaieté qui provenait de ce que dans sa pauvreté le frère trouvait une libération, tandis que la pauvreté du sectaire, étant pour lui un programme, l’entravait dans sa vie et lui pesait sur le cœur. »

Ce que saint François a été à un degré éminent et presque surhumain, en sa qualité de saint, les frères de son ordre l’ont été