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olympienne. Cette enquête ne peut se faire en France. On le voit assez par la manière dont est conduite l’instruction de la plupart des crimes et délits commis à bord : contre l’opinion généralement accréditée, ces crimes et délits de droit commun relèvent de la justice ordinaire ; mais, neuf fois sur dix, me disait un commissaire de la marine, le parquet renvoie l’affaire devant le tribunal maritime en alléguant qu’elle n’est point de sa compétence. Or, les tribunaux maritimes ne peuvent prononcer que des condamnations relativement légères, et l’opinion, mal éclairée, interprète à complaisance l’involontaire modération de leurs arrêts. Il faut ajouter que rien n’est difficile comme l’instruction de ces affaires. Six et sept mois se sont écoulés quelquefois depuis l’accomplissement du délit ou du crime, et l’on n’imagine pas les déformations qu’a subies entre temps la vérité dans l’esprit des marins, dont le témoignage est fort suspect en général. Si l’on voulait conduire des instructions sérieuses, il faudrait en charger le croiseur de l’État et que ce croiseur restât en permanence sur les Bancs. Mais il n’y fait que passer ; il lui faut visiter par surcroît Saint-Pierre, le French-Shore, les établissemens du golfe Saint-Laurent, etc. Dix mille hommes, en qui couvent toutes les frénésies de l’alcool, sont livrés pendant six mois à eux-mêmes, retranchés de la société et abandonnés aux pires suggestions de l’instinct. La police des Bancs, pour être efficace, devrait s’exercer sans discontinuité de mars à septembre. Veut-on un exemple de la difficulté des instructions actuelles ? Le jeune Augustin Gautier, âgé de 16 ans, mousse à bord de la goélette coloniale Charles-Jules, accuse le capitaine de s’être livré sur sa personne à des actes immoraux, en août 1901, pendant que le navire péchait sur le Banc. Le parquet de Dinan ouvre une enquête : deux témoins, Dorléans, saleur, et Le Buchoux, novice, entendus les premiers, font des dépositions accablantes pour le capitaine. Le second du bord, Porcon, se montre beaucoup moins affirmatif. Toutefois il reconnaît avoir reçu les plaintes du mousse et lui avoir conseillé d’appeler l’équipage, si le capitaine recommençait. Celui-ci proteste énergiquement. Flairant le complot qui s’ourdissait contre lui, il s’est fait délivrer un certificat par le médecin de l’hôpital de Saint-Pierre. D’autre part, il est très estimé dans le pays où sa conduite n’a jamais donné prise à la moindre critique. Mais ses accusateurs ne désarment pas et n’hésitent pas à mettre en cause le médecin