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de sentimens de haine qui éclata naguère, du nord au sud de la Chine, aux cris de : « Mort aux étrangers ! » — le cri de ralliement des races qui se soulèvent pour lutter pour leur indépendance — est une manifestation frappante de ce nationalisme[1].

Nous n’irons point toutefois jusqu’à soutenir que, dans cette vaste fourmilière humaine que forme la Chine, tous les Célestes soient susceptibles de comprendre, au même degré, ce sentiment de patriotisme. Dans ce peuple où abondent les coolies sans travail, les mendians, les déshérités de tout ordre vivant au jour le jour[2], les ennemis de la dynastie mandchoue, les lettrés

  1. La haine de l’étranger servit de lien entre les nombreuses sociétés secrètes d’origine ou de formation éminemment populaire, et le corps des lettrés opposé aux réformes que menaçait d’amener l’intervention active des Occidentaux dans les affaires intérieures de la Chine. Et c’est en arborant sur leurs drapeaux cette devise, « Mort aux Étrangers ! » accompagnée de celle de « Sur l’ordre de l’Empereur et pour le Salut de la dynastie, » que les Boxers rallièrent à eux tous ces mécontens en même temps que les adhérens de toutes les sociétés secrètes de l’Empire, y compris celles, comme le Nénuphar blanc, dont le but était le renversement de la dynastie actuelle.
    Sir Robert Hart considère l’explosion du mouvement boxer de 1900 comme le prélude d’une transformation, et le point de départ de l’histoire future de l’Extrême-Orient. « La Chine de l’an 2000 sera, dit-il, bien différente de celle de 1900. Le sentiment national est un facteur constant dont il faut tenir compte et qu’on ne peut éliminer lorsqu’on s’occupe d’événemens qui concernent un peuple. Ce mot d’ordre « la Chine au Chinois » et « Dehors les Étrangers » est bien le réveil de ce sentiment. Ce mouvement dû certainement, originairement, à une inspiration officielle, s’est emparé de l’imagination populaire et il est à présumer qu’il s’étendra, de long en large, dans tout l’Empire.
    « S’il n’a pas réussi, il a cependant montré quel écho il pouvait trouver dans le peuple : ses initiateurs ont compris que les lances et les sabres, auxquels la prudence des mandarins avait limité leur armement, devaient être remplacés par des fusils Mauser et des canons Krupp. »
    Nous ajouterons que, si l’explosion du mouvement boxer avait été retardée de quelques mois et ne se fût produite, par exemple, qu’au mois de décembre, les conséquences en eussent été autrement plus terribles qu’elles ne le furent. En effet, la navigation étant arrêtée sur le Peï-Ho, dans les premiers jours de ce mois, par suite des glaçons charriés par le fleuve, et la côte, devant Takou, devenant à ce même moment inabordable, il eût fallu aux Alliés une véritable opération militaire par terre pour s’emparer des forts qui barrent l’entrée du Peï-Ho. Les concessions, à Tien-Tsin, et les légations, à Pékin, n’eussent pu être secourues à temps ; un succès des Boxers ou des réguliers, tel que celui qui fut remporté sur la colonne Seymour, sur les premières troupes débarquées qui auraient été ainsi dans l’obligation d’entrer en campagne dans les conditions les plus difficiles, eût donné à ce soulèvement boxer une extension et une force que la Cour, comme les vice-rois du Yang-Tsé-Kiang et de Canton, eussent été alors, selon toutes probabilités, dans l’impossibilité d’enrayer, si le désir leur en était venu, car ceux qui déchaînent de semblables tempêtes né sont plus les maîtres des élémens et se trouvent, à leur tour, emportés dans la tourmente.
  2. Il faut donner à cette expression son sens propre : c’est en effet, par milliers que meurent les Chinois, — hommes, femmes enfans, — lorsqu’une famine résultant d’une guerre, d’une inondation ou de l’un de ces nombreux fléaux qui s’abattent sur ce pays, vient à frapper ces innombrables populations, et principalement celles de l’intérieur qui ne vivent presque exclusivement que du seul produit de leur sol.