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acérées de Fontanes, un jeune écrivain obscur l’accusait nettement d’opposition au pouvoir. Or, quelques jours après, un attentat odieux[1]soulevait l’horreur de la nation, excitait les sympathies envers le Premier Consul, et faisait prévoir d’impitoyables représailles.

Mme de Staël se plaignit très haut à ses amis, à ceux de Fontanes et de Chateaubriand. Elle ne put s’adresser à l’aimable et doux Joseph Bonaparte, qui négociait à Lunéville la paix avec l’Autriche, ni à Lucien, qui avait dû quitter le ministère de l’Intérieur et représentait la France à Madrid. Mais il y avait à Paris une autre personne, qui était fort liée avec Chateaubriand et Fontanes et qui entretenait d’amicales relations avec Mme de Staël. Pauline de Beaumont, fille de M. de Montmorin, ancien ministre de Louis XVI, guillotiné sous la Terreur, s’essayait alors à rassembler autour d’elle, dans son appartement de la rue Neuve-du-Luxembourg, quelques débris de l’ancienne société dispersée par la Révolution. Là se réunissait tous les soirs, de sept à onze heures, loin de la cohue des partis, un cercle élégant et discret d’amis intimes, émigrés, « fructidorisés, » gens de l’ancienne cour, de la noblesse ou de la bonne bourgeoisie, Fontanes, Chateaubriand, Joubert, Bonald, Chênedollé, Guéneau de Mussy, Adrien de Lézay, Molé, Pasquier, Mmes de Vintimille, de Pastoret, Hocquart, tous liés par l’amour de l’esprit et des belles-lettres, le dégoût de la « philosophie » et l’horreur des excès révolutionnaires. « J’ai retrouvé la petite et admirable société du Luxembourg, » écrivait Chateaubriand à Fontanes le 16 vendémiaire. On sait assez quelle place il allait prendre dans cette société et dans le cœur de l’aimable femme, qui présidait à ses destinées.

Pauline de Beaumont avait en grande estime Mme de Staël, pourtant si différente d’elle : « Quand elle ne serait pas aussi remarquable qu’elle l’est par son esprit, disait-elle, il faudrait encore l’adorer pour sa bonté, pour son âme si élevée, si noble, si capable de tout ce qui est grand et généreux[2]. » M. Necker avait été en rapport avec M. de Montmorin, quand il était, comme lui, ministre du Roi. Sous la Révolution même, les relations de

  1. L’explosion de la machine infernale, le 3 nivôse an IX. L’article du Mercure est du 1er nivôse.
  2. Mme de Beaumont à Joubert, mai 1796. (P. de Raynal, les Correspondans de Joubert.)