Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/642

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme de Beaumont et de Mme de Staël n’avaient jamais complètement cessé. Les lettres de Mme de Beaumont à Joubert en sont la preuve. Plus tard, sous le Consulat, Mme de Staël apparaissait parfois avec sa cousine, Mme Necker de Saussure, dans les petites réunions de la rue Neuve-du-Luxembourg ; elle avait retrouvé lu, un jeune émigré, ami de Chateaubriand, Chênedollé, qui l’avait visitée à Coppet, en revenant de Hambourg, et dont elle appréciait le génie poétique. À vrai dire, on la craignait un peu ; celle que Mme de Beaumont appelle, dans ses lettres, le « tourbillon, » le « Léviathan, » jetait l’émoi dans la paisible société, d’idées si opposées aux siennes. Mais on l’aimait pour sa grande bonté.

Il ne fut pas difficile à Mme de Beaumont de persuader Chateaubriand qu’il avait tout intérêt à ménager Mme de Staël ; celle-ci, malgré ses démêlés avec le Premier Consul, avait beaucoup de crédit, de nombreuses relations ; elle était en bons termes avec le ministre delà Police, Fouché ; elle intervenait souvent dans les affaires de « radiation. » Or, Chateaubriand était maintenu sur la liste des émigrés ; il n’avait pu obtenir d’être rayé, malgré l’influence de Fontanes et de Mme Bacciochi. Enfin, le parti de la Révolution était fort indigné des attaques de Fontanes et de ses amis ; il s’inquiétait déjà du futur auteur du Génie du Christianisme, qu’on annonçait, qui s’annonçait lui-même à grand renfort de réclame. Mme de Staël pouvait servir d’utile bouclier contre ses attaques, apaiser les colères, désarmer les haines. Chateaubriand céda. Il avait obtenu ce qu’il désirait : un peu de bruit autour de son nom. Il aurait eu mauvaise grâce à refuser de faire amende honorable.

En germinal an IX paraissait Atala. Ce fut l’occasion que saisit Chateaubriand. Il se plaignit dans la préface — était-il sincère ? — du bruit qu’avait fait sa lettre à Fontanes ; et il ajoutait : « On m’a dit que la femme célèbre, dont l’ouvrage formait le sujet de ma lettre, s’est plainte d’un passage de cette lettre. Je prendrai la liberté d’observer que ce n’est pas moi, qui ai employé le premier l’arme que l’on me reproche et qui m’est odieuse ; je n’ai fait que repousser le coup qu’on portait à un homme, dont je fais profession d’admirer les talens et d’aimer tendrement la personne. Mais, dès lors que j’ai offensé, j’ai été trop loin ; qu’il soit donc tenu pour effacé, ce passage. Au reste, quand on a l’existence brillante et les beaux talens de Mme de Staël, on doit oublier facilement les petites blessures que peut nous