Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 17.djvu/744

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’entière sécurité. Les livres rangés, me voilà au travail et il faut qu’il soit continu et hâté, car j’ai juste le temps. La caisse m’a coûté tant port que douane 105 francs, ce qui m’a ruiné, et m’a fait user de votre billet près de M. Espérandieu pour la bonne que j’aurais pourvue sans cela. Voilà une lettre toute de ménage et de finance, c’est pour vous prouver que tout ira bien jusqu’à votre retour et qu’il ne faut en rien le hâter. Dites bien mes vœux et mes respectueuses amitiés à Mme Olivier : que je voudrais la savoir tout à fait forte et debout ! Mme R… (je ne sais comment on écrit) est venue le jour de votre départ et je l’ai reçue. Elle a dû vous écrire. « Adieu, adieu, mille amitiés.

« SAINTE-BEUVE.

« Mes respects à Mlle Ruchet et amitiés à votre beau-frère. »


23 octobre, ce lundi 1 heure et demie.

« Cher ami,

« J’espérais vous arriver ce soir. Je viens du bateau, mais une fausse indication de l’excellent M. Ducloux[1]m’a induit en retard, et, le bateau lui-même ayant devancé d’un quart d’heure, je l’ai tout naturellement manqué. Je regrette bien de n’avoir pu faire ce petit voyage ; je serais revenu dès demain matin, mais je vous aurais vu, j’aurais peut-être entrevu Mme Olivier, j’aurais eu du moins de ses dernières et actuelles nouvelles. Je vous aurais enfin parlé d’un point qu’il m’est très difficile d’aborder par écrit et que deux mots de conversation auraient vidé. Mais il est maintenant trop tard pour que je fasse le petit voyage ; j’en suis à compter les jours pour ma préparation ; ce qui sera pour moi une suite de petites fièvres et d’agonies commence. Je l’ai senti dès avant-hier quand je me suis vu en présence de mes livres déballés et rangés, et en demeure de me mettre incontinent à l’ouvrage. Mes vieilles habitudes et mes caprices, pensée sauvage et absolue, me sont revenus, et je me suis mis à craindre de ne pouvoir travailler réellement que dans les mêmes conditions auxquelles je me suis condamné à Paris depuis des années. Ces conditions sont celles d’un isolement, d’une réclusion entière et absolue et certaine pendant des heures, et d’une sévérité à cet égard (je vous le répète) presque farouche et sauvage. Ma pensée,

  1. Imprimeur et libraire de Genève.