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centaine. Les compagnies les mieux avisées engagèrent, à de hauts appointemens d’anciens fonctionnaires congolais, ou des transfuges des sociétés belges ; les autres se munirent au petit bonheur ; et l’on vit des employés, classés supérieurs avant d’avoir jamais servi, s’étonner de n’arriver pas encore au Congo lorsqu’ils passaient devant Konakry.

La rareté du personnel technique eût été moins regrettable, si les fonctionnaires avaient pu guider et former peu à peu les arrivans, auxquels, pour la plupart, la bonne volonté ne manquait pas. Mais la conquête du haut pays n’était pas achevée ; les fonctionnaires avaient bien d’autres besognes que de renseigner les nouveaux débarqués : ils faisaient partir des convois pour le Tchad. La situation était littéralement affolante pour un commissaire général du Congo français, en cette époque du début des concessions : la capitale de la colonie avait été maintenue à Libreville, port sans arrière-pays, ne communiquant avec Brazzaville et le Congo navigable qu’au prix de longs détours par Loango ou par la ligne belge ; depuis la construction de ce chemin de fer, tous nos transports militaires, voyageurs et marchandises, empruntaient cette dernière voie ; la neutralité de l’Etat indépendant était ménagée par de naïves précautions, lorsqu’il s’agissait de faire passer des soldats ou des munitions : les hommes déposaient leurs fusils dans des caisses et s’embarquaient sans armes, en uniforme, comme des bandes de collégiens ; la poudre était pacifiquement supposée biscuit, des obus passaient comme bouteilles de Champagne. A combiner avec les autorités du chemin de fer ces transports et ces déguisemens, le commissaire général usait tout son temps, alors que Libreville n’avait pas de crédits pour son jardin d’essais ; que son port n’était qu’une rade foraine, piquetée d’épaves ; et que les premiers concessionnaires, mettant le pied sur la terre africaine, s’enquéraient fébrilement de savoir où étaient leurs concessions.

Veut-on saisir sur le vif un exemple de l’invraisemblable anarchie qui désolait alors le Congo ? Que l’on étudie, dans le Journal officiel de la colonie, l’histoire de la « mission topographique » du commandant Gendron et de ses collaborateurs. Ces officiers, choisis avec soin parmi des spécialistes éprouvés, étaient partis pour procéder à la délimitation des concessions ; on commença par les employer, en effet, à des travaux