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transparence trouble de l’eau : des tortues, — les tortues bouddhistes qu’animent des âmes autrefois humaines, et qu’il est pieux de nourrir à la pagode Arakan, après avoir adoré la grande figure du bon Gautama.


Nous finissons la journée au « Monastère d’Or de la Reine, » le plus célèbre des deux Birmanies, trop beau, trop ancien pour appartenir vraiment à Mandalay. C’est plutôt, comme la pagode Arakan, un reste de la vieille Amarapura : il s’élève à la même extrémité de la ville, et, comme elle, presque dans la forêt. Nous le découvrons dans le vague du soir et de la poussière. Alentour, à cette dernière heure du jour, le paysage n’est que fumée, charbon et feu, — feu du soleil, rouge et terni comme par un brouillard de Londres, fumée de l’universelle poussière, charbon des silhouettes de palmiers dressées contre le somptueux Occident. Et l’odeur enivrante et sèche du crépuscule indien.

D’une magnificence assombrie comme ce paysage sont les pavillons de ce monastère. Des cassettes d’or éteint, tirant un peu sur le vert, — or soutaché, ciselé à l’infini, chargé de festons qu’on prendrait pour les gaufrures mordorées d’un vieux cuir. Mais l’ensemble évoque plutôt l’idée d’un vieux laque d’or japonais, de surface tiède et tendre, de splendeur sourde, retenue, qui ne se livre que peu à peu, avec des passages de noirceur riche. L’admirable matière ! Et, comme ce grand bibelot est trop précieux pour poser sur le sol, des serpens d’une laque de sang, - — si fréquente dans toute la péninsule, — soutiennent de leur queue recourbée la boîte merveilleuse.

Et là-dessous, entre les luisans rouges, entre les gueules collées à terre, dort une ombre épaisse. En haut, le rêve extravagant et léger des toits qui se chevauchent, des pignons qui se haussent en têtes stylisées de dragons, s’éploient en doubles cornes, élancent verticalement leur légion serrée de lances. Et, tout le long de ces cornes, de ces pignons, tout le long des toits comme des balcons, des myriades de figurines dressées, grêles, ondulantes, indo-chinoises, s’alignent en franges continués, d’une richesse inouïe. Et plus bas, drapant tout le corps de l’édifice, des panneaux, de bois se tendent, ouvrés comme des soies