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l’histoire de sa vie, histoire en tous cas très scandaleuse, elle a raconté sa liaison avec eux et surtout avec le « délicieux Séchelles. » Elle y a même inséré quelques lettres de lui[1].

Sur beaucoup de points, ses dires sont suspects, l’inexactitude en est grossière. Quant aux lettres qu’elle attribue à son amant, il est visible qu’elle les a modifiées pour les mettre d’accord avec son récit et que, profitant de ce qu’elles ne portent pas de date, elle en a interverti l’ordre chronologique, en vue de nous faire croire, ce que démentent les faits, que la liaison durait encore lorsque Hérault fut condamné. Mais, ces réserves faites, il faut reconnaître que les lettres qu’elle cite ont, en plus d’un passage, une valeur documentaire qui permet de les considérer comme des pièces historiques. Elles nous révèlent sous son vrai jour le libertin qu’il y avait dans Hérault de Séchelles, le jouisseur effréné, mitigé d’un sentimental parfois un peu candide, jaloux et en même temps incapable de se fixer, dominé jusque dans ses plaisirs par le pressentiment d’une fin prochaine, l’homme enfin qui, dans les bras de sa maîtresse, s’écriait :

— Je veux me hâter de vivre. Lorsqu’ils m’arracheront la vie, ils croiront tuer un homme de trente-deux ans. J’en aurai quatre-vingts, car je veux vivre en un jour dix années.

Quand la Morency le connut, elle attendait avec impatience la loi sur le divorce, depuis longtemps annoncée, et qui devait lui rendre légalement la liberté dont elle jouissait de fait après avoir abandonné son mari. Elle séduisit Hérault en l’intéressant à son sort. Soucieux de plaire, il se fit l’ardent partisan du divorce et hâta la présentation de la loi. À propos d’une pétition que la jeune femme avait adressée au Corps législatif dans la même intention, il lui écrivait : « Cette lettre en forme de pétition est pleine d’esprit et de raisonnement juste. J’ai pris le parti de la lire à l’Assemblée ; elle a été applaudie généralement[2]. Comme beaucoup de mécontens ont fait de même que vous et ont réclamé la protection de l’Assemblée pour la dissolution de

  1. Illyrine ou les Ecueils de l’inexpérience. Paris, 1800. MM. Charles Monselet, dans ses Oubliés et Dédaignés ; Jules Claretie, dans son Camille Desmoulins ; Aulard, dans ses Orateurs de la Convention, ne mettent pas en doute l’authenticité des lettres de Hérault qui s’y trouvent ; Charles Nodier, dans ses Souvenirs de la Révolution, affirme même en avoir lu plusieurs en autographes. Une lecture attentive m’a convaincu toutefois que le texte original a été dénaturé en plus d’un point.
  2. Je n’ai pas trouvé trace de cette lecture dans le compte rendu des débats sur le divorce.