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appartient la force d’émouvoir les cœurs, à toi le laurier, — ô saint Père, aux siècles des siècles ! Amen. »

Les dernières lignes contiennent en germe tout un côté de la philosophie de Schopenhauer, Ce sera plus tard une de ses règles de conduite de chercher dans la poésie et dans les arts une consolation et un refuge, un contrepoids au spectacle des misères humaines, qu’un penchant inné le portait à scruter sans cesse.


V. — L’UNIVERSITE

Au commencement du mois d’octobre 1809, il se rendit à Gœttingue. Les études classiques l’avaient familiarisé avec l’antiquité ; l’université devait l’orienter dans les sciences de la nature. Il se fit inscrire à la Faculté de médecine. L’université de Gœttingue, la Georgia-Augnsta, qui avait été fondée au siècle précédent pour opposer une digue au dogmatisme théologique, était restée un asile de la libre recherche. Elle comptait alors parmi ses professeurs le naturaliste Blumenbach, l’historien Heeren, le philosophe Gottlob-Ernest Schulze. Celui-ci, dans son premier ouvrage, intitulé Enésidème, avait produit, sous le masque du sceptique alexandrin, ses scrupules 8ur l’idéalisme transcendantal, qu’il craignait de voir dégénérer en idéalisme absolu ; et déjà, en effet, cette évolution s’opérait entre les mains de Fichte. Schulze voulait qu’on appelât sa propre philosophie non pas un scepticisme, mais un anti-dogmatisme. Sceptique seulement à l’endroit des théories métaphysiques sur l’origine de nos connaissances, il était disposé à admettre pour vrai tout ce que l’expérience raisonnée nous donne comme tel. Schulze fut le premier directeur philosophique de Schopenhauer ; il lui conseilla d’étudier d’abord Kant et Platon et d’y joindre ensuite Aristote et Spinosa, réunissant ainsi dans une double synthèse, qui comprenait chaque fois un ancien et un moderne, ce qu’il considérait comme le fonds acquis et la matière indispensable du travail philosophique.

À ce moment, Schopenhauer montrait encore plus de goût pour Platon que pour Kant, dont la rigoureuse analyse lui semblait décolorer le monde extérieur. Dans une de ces nombreuses notes qu’il prenait au courant de ses lectures, il disait ; « Si Gœthe n’avait pas été envoyé dans ce monde en même temps que Kant, comme pour lui faire contrepoids dans l’esprit du